Alain Passard : Tête de veau en croûte de sel

J’avais interrogé Alain Passard en 2002 sur sa vision future de sa cuisine ; il me répondit avec malice: « C’est trop tôt, je ne suis qu’en deuxième année de légumes ! »Au cours des dix dernières années, Alain Passard a créé deux potagers, dans la Sarthe et dans la baie du Mont-Saint-Michel, en Normandie ; il a engagé des jardiniers, a acheté deux chevaux pour labourer la terre, et emploie tous les légumes de sa production qu’il distingue comme autant de crus, selon leur terroir d’origine. Il expérimente aussi un fumoir pour légumes, dans l’Eure, et un compost monoproduit. Aujourd’hui, il s’emploie à simplifier encore ses recettes de légumes qu’il semblait avoir amenée, déjà, à une expression culinaire achevée. Il n’a de cesse de chercher des accords, de jouer sur les couleurs, d’identifier des valeurs à la manière d’un peintre en privilégiant « le geste », qu’il associe volontiers à la couleur, dans une expérience de synesthésie culinaire. Les poissons, les crustacés, qui n’avaient jamais vraiment quitté la carte, ont été rejoints par les volailles, les viandes blanches. Seules les viandes rouges restent bannies. Et la couleur est devenue son principal axe de créativité, le jaune doré d’un gratin d’oignon doux de variété sturon au citron confit, à la jardinière Arlequin à l’huile d’Argan servie avec une merguez végétale à l’harissa. Alain Passard cependant, n’a jamais renoncé, ne serait-ce que pour former les jeunes cuisiniers de sa brigade, à cuisiner de temps à autres, ici un véritable faisan de fusil, là une tête de veau.  Quoi, une tête de veau à l’Arpège ? Oui, rarement, ou bien sur commande. Interrogé autrefois sur la tête de veau en sauce tortue, Passard m’avait répondu : « c’est surement fameux, mais ce n’est pas mon truc. » Son truc à lui – il fallait y penser – est une tête de veau en croûte de sel ! Il utilise une tête de veau sur l’os, entière, préalablement épilée, qu’il recouvre d’une crépine, puis enveloppe d’un tissu formant une sorte de linceul. La tête, posée sur une plaque est enrobée de gros sel sur toutes ses faces… oreilles comprises ! « Je l’ai mise à cuire à four froid vers minuit, hier soir… à 120 /130 degrés. » A la sortie du four, la croûte est entière, compacte. Il faut la casser en cuisine. Puis la tête est présentée semblable à une momie. Retour à la cuisine : parée, dressée chaque assiette présente un morceau de cuir, de chair, de langue, entièrement nature, sans autre assaisonnement qu’un peu de sel de Guérande et un tour de poivre. Tel morceau est croustillant, tel autre presque confit ; la langue est restée un peu ferme. Sur le coté, une chiffonnade d’oseille, simplement tombée avec une noix de beurre. Le résultat est époustouflant ! Un second service suit, avec un petit jus parfumé à l’anchois, et une garniture, discrète, d’échalote confite et d’aubergine fumée qui accompagnent un peu de chair et de cervelle, dont rien ne peut laisser penser qu’elle a cuit – tout doucement il est vrai –  une bonne douzaine d’heures. Un tour de force ? Non, seulement la recherche de la plus extrême simplicité pour exprimer la vérité du produit. Cette recette, réduite à une méthode de cuisson, montre une nouvelle fois que la cuisine d’Alain Passard est moins une ascèse qu’une esthétique de table sollicitant avec justesse et parcimonie l’univers contrasté des saveurs.

Procès de Ferran Adria et Juli Soler les 29, 30 et 31 octobre 2012 à Barcelone

Le 26 janvier 2009, Ferran Adria chef de El Bulli (Roses – Espagne), annonçait son intention de fermer son restaurant en 2012 et 2013 pour « se ressourcer, réfléchir et préparer la  feuille de route d’El Bulli jusqu’en 2020. » Pour justifier sa décision prise en accord avec son associé Juli Soler, il invoquait la fatigue et la lassitude du créateur, sans craindre la litote : « c’est comme si  l’on demandait à Galliano d’aller à l’usine tous les jours. » Cette annonce avait surpris nombre de commentateurs. Nous avions toutefois fait état des « vraies raisons » de la fermeture d’El Bulli.

Le restaurant a effectivement fermé ses portes en juillet 2012 et a été transformé en « Fondation. » Le 13 août 2012, était annoncée la vente des 10.000 bouteilles de la cave chez Sotheby’s.

La cause véritable de cette fermeture programmée viendrait, selon la presse catalane, d’une accélération de la procédure intenté par la famille de Miquel Horta, ancien associé d’El Bulli, à l’encontre de Ferran Adria et Juli Soler. Cet éditeur barcelonais, par ailleurs héritier de la firme Nenuco,  possédait 20% des parts du capital de la société jusqu’à ce que ses associés les lui rachètent, en 2005, pour un million d’euros. Somme dérisoire par rapport aux activités de la société évaluées, après expertise judiciaire, à 90 millions d’euros au minimum. Ce ne serait donc qu’une affaire de gros sous si Miquel Horta ne souffrait depuis le début des années 2000 d’une grave maladie bipolaire. La presse espagnole a évoqué dans le rachat des actions à bas prix un abus de faiblesse. Les ayants droit de Miquel Horta qui ont confié leurs intérêts à l’avocat Juan Ignacio Navas, bretteur pugnace, accusent les anciens associés de leur père d’abus de bien sociaux et de recel. La mise en sommeil programmée d’El Bulli, ne semble donc qu’une posture stratégique, car le Tribunal de Barcelone a annoncé la date du procès les 20, 30 et 31 octobre 2012. La transformation d’El Bulli en fondation et la vente précipitée de la cave semblent destinées à sauver ce qui peut l’être…

Voir l’article du Guardian sur ce sujet :

http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/2012/may/07/el-bulli-ferran-adria-chef

 

http://www.deltaworld.org/gossip/Ferr-n-Adri-will-go-to-trial-for-an-alleged-deception-to-an-exsocio/

 

Le sel de la vie – chronique « Saveurs » (Le Monde 26 août 2012) – Adresses et produits

Le Guérandais
Les Salines de Guérande. Pradel - CS 65315 – F-44353 Guérande Cedex.

Tél. : 02-40-62-01-25

 

http://www.boutique.seldeguerande.com/

Fleur de Sel 500 g – 8.70 €

Sel fin herbes 100 g – 2.40 €

Sel fin légumes 100g – 2.40 €

 

Hédiard

21, Place de la Madeleine - 75008 Paris. Tél. : 01-43-12-88-88

 

Sel Fou aux Herbes et aux épices  – 8,00 €

Sel Rose de l’ Himalaya  – 8,00 €

Sel au Céleri  – 8,00 €

Goumanyat – Maison Thiercelin

3, Rue Charles-François Dupuis - 75003 Paris. Tél. : 01-44-78-96-74

 

Blue Paradise – mélange de sel en moulin, grinder – 70 g - 6.95 €

Fleur de Sel -  cristaux récoltés à la main, pot 330 ml – 310 G - 9.99 €

Sel au piment doux fumé au sel de Guérande, pot – 70 G - 4.49 €

Sel bleu saphir de Perse – granulé, pot – 90 g - 4.19 €

Sel de Maldon – étui carton – 250 G - 6.90 €

Sel rose d’Himalaya – cristaux entiers, pot – 70 G - 4.71 €

 

 

G.Detou

58, Rue Tiquetonne - 75002 Paris. Tél. : 01-42-36-54-67

 

 

Bahadourian

20 Rue Villeroy – Lyon. Tél. : 04-78-60-32-10

www.bahadourian.com

 

Sel rose de l’Himalaya – pot 250 g. 5,95 €

Sel de mer Maldon – 250 g. 6,95 €

 

Citrus Etoile (Restaurant – Gilles Epié)

6, Rue Arsène Houssaye - 75008 Paris. Tél. : 01-42-89-15-51Menus : 45 € (déj.) – 75 € – Fermé samedi et dimanche. Voiturier

La Soupe à la Grimace, recette d’actualité

Dans l’expectative électorale actuelle, il parait sage de réviser l’un des grands classiques de la cuisine politique et de préparer, en famille, la fameuse soupe à la grimace rapportée par topinambours.net/  d’après, semble t’il, une vieille recette sénégalaise de  la tribu des Baye Fall du coté de Kalanbancoura,

 

« Cette année, la soupe sera un peu plus amère que l’an dernier, conjoncture oblige. Avant toute chose, mettez un masque, car cette soupe dégage une odeur difficile à supporter », avertit le cuisinier.

C’est une soupe qu’on prépare traditionnellement, dans les familles populaires à l’occasion du 1er mai (les familles aisées mangent au restaurant, ce jour là) » Une recette familière, des ingrédients faciles à trouver, le plat international par excellence, cette soupe est amère et nourrit surtout la colère…

« Prenez [tous] vos chômeurs que vous mélangez intimement avec [les] chômeurs partiels (il n’est pas toujours facile de reconnaître sur le marché, le chômeur et le chômeur partiel. Ne vous inquiétez pas, la différence est si subtile que l’erreur ne nuira pas).” Le cuisinier précise : le travailleur précaire et le stagiaire remplacent avantageusement les chômeurs partiels.

« Ajoutez un grosse louche d’impression “d’être pris pour des cons”, une pincée d’amertume, une bassine de pauvreté, un zeste de fatalisme. Vous mettez le mélange à reposer. Il arrive que votre mélange mousse et déborde, en ce cas ajoutez en catastrophe une grosse louchée de promesses démagogiques.»

« Pendant ce temps, mettez dans votre auto-cuiseur : l’école, la justice et la santé (on peut ajouter la dette et les immigrés) Une fois que le bouchon siffle; signe que la pression augmente; baissez le feu et laissez mijoter jusqu’à ce qui vous commenciez à craindre que la gamelle n’explose. »

« Il existe différentes sortes de soupes à la grimace, chaque pays à la sienne. Celle-ci –  version république bananière – est particulièrement amère. Cette soupe, très longue à préparer, n’est pas particulièrement agréable à manger. »

Les Petits Pois, vus par le New York Times

Dining & Wine

Letter From Paris

Spring Brings Caviar in a Pod

 

 

Peas from the garden at L’Oustau de Baumanière, a restaurant-cum-hotel in Provence. More Photos »

By ELAINE SCIOLINO

PARIS

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Provençal Peas

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·         Petits Pois de L’Oustau de Baumanière (April 25, 2012)

I WAS not the kind of person to travel 400 miles to pursue the perfect pea.

But in search of spring, I found myself tagging along with Jean-Claude Ribaut, Le Monde’s food critic, on a day trip from Paris to L’Oustau de Baumanière, the two-star Michelin restaurant-cum-hotel at the foot of the medieval hill town of Les Baux in Provence.

Driving from the train station at Avignon, we passed the Gallo-Roman mausoleum and triumphal arch near St.-Rémy-de-Provence. We cut through seas of olive trees and made our way up and down narrow winding hills of calcified rock to our destination.

Long ago, when L’Oustau’s founder and master chef, Raymond Thuilier, was alive, the restaurant had three stars. Back then, people like Queen Elizabeth, Deng Xiaoping and Pablo Picasso dined or slept here, or did both.

Jean-André Charial, Mr. Thuilier’s grandson and L’Oustau’s owner, showed me his old photos, including ones of a young, up-and-coming Arab leader named Saddam Hussein who stayed here for three days in 1975. There are photos of Mr. Hussein and Jacques Chirac, then prime minister, chatting at a table in the L’Oustau garden, and of Mr. Hussein in a double-breasted suit with wide stripes seated with Bernadette Chirac, the first lady, at a bullfight in nearby Nîmes. He is smiling.

But back to peas. Mr. Ribaut had explained to me that we were at the peak of the season, and that’s why we had to make an early morning pilgrimage to the source. L’Oustau has had its own vegetable garden for 30 years, long before it became fashionable in the United States. The peas go from garden in the morning to table at lunchtime.

Peas have a special place in French culture and cuisine. They were one of the earliest cultivated food crops, and as emperor of France, Charlemagne planted them in his gardens.

In the 17th century, peas achieved a special status at Versailles in King Louis XIV’s famous “potager du roi,” or royal fruit and vegetable garden. There, the king’s gardener, Jean-Baptiste de la Quintinie, developed a green-pea hybrid known as petits pois.

King Louis was obsessed with his garden and liked his peas raw. In a letter in 1696, Madame de Maintenon, his spiritual adviser, mistress and secret second wife, described court conversations about the “impatience” of eating them, the “pleasure” of having eaten them and the “anticipation” of eating them again. Some women in the court, she wrote, “having supped and supped well with the King, have peas waiting for them in their rooms before going to bed — at the risk of indigestion. They’re fashionable, all the rage.”

In France, January signals the arrival of endives, cardoons (artichoke thistles) and root vegetables like rutabaga, beets and topinambours (Jerusalem artichokes). March and April bring spring: petits pois, asparagus and Gariguettes, the small, shiny, old-fashioned first strawberry of the year. The best tomatoes come in June, July and August.

In the L’Oustau garden, long rows of pea vines heavy with pods awaited picking. In the kitchen, the chef Sylvestre Wahid set a shallow, oblong, pea-filled wicker basket on a table and offered a tutorial. He began by breaking open the pods and urging me to taste.

I learned that the smaller the pea, the sweeter and more tender they are; that fat, stuffed pods can mean that the peas have become tough and mealy and past their prime; that one way to test the freshness of peas is to press down on a pod and gently move around the peas inside. (Fresh peas will squeak when they are rubbed together.)

All I craved for lunch that day was the simplicity of fresh petits pois.

But we started with frogs’ legs in a Parmesan mousse, then red snapper filets with tomatoes, basil, thyme flowers and a vinaigrette served with a 2008 white Domaine Hauvette of the Alpilles. We ate roast pigeon with beets and turnips in lavender honey served with a 2006 red Affectif from Baux, made by Mr. Charial, and finished with raspberry-sorbet-filled meringues garnished with strawberries, raspberries, mango, grapefruit and coconut, and an apple and banana tart with banana ice cream.

Midway through the meal, the waiter brought out V-shaped bowls in thick tinted glass filled high with glistening peas made the old-fashioned way: swimming in a buttery froth and seasoned with tiny squares of poitrine paysanne (pork belly). No need to balance these peas on delicate forks. We ate them with spoons and gusto.

“There’s nothing exceptional in the cooking — it’s all about quality and freshness,” Mr. Charial said. “Petits pois are emblematic of France. They announce the coming of the sun, the spring. You can be served caviar anywhere. New York, Hong Kong, London. For me, petits pois are my caviar.”

Back in Paris, I was ready for a lesson in advanced pea preparation. I headed to Guy Savoy, the Michelin three-star restaurant near the Arc de Triomphe, where the executive chef Laurent Soliveres was puréeing, skinning, juicing and boiling peas in the basement kitchen.

He plunged peas briefly into boiling salted water and then into a bowl of ice water to cook them al dente and keep their color bright green. He showed me how to skin a pea by pressing down gently on each and rolling it between my fingers.

He taught me how to make pea pods edible by painstakingly peeling away the tough, thin, translucent inner-membrane with a sharp knife. “I learned this from my mother and my grandmother,” Mr. Soliveres said. “It’s a work of patience.”

The results? First was a dish that Mr. Savoy calls “tous les pois,” or “all peas,” that blended three different pea textures and tastes. A slightly gelatinized base made with freshly squeezed pea juice covered the bottom of the plate. Emerald-green peas cooked al dente circled a dollop of velvety pea purée topped with a small poached egg and garnished with watercress sprouts and purple Japanese shiso.

Then, for fun, Mr. Savoy and Mr. Soliveres turned pea pods into tiny, crisp, edible boats and filled them with peas. They were served alongside quail in soy sauce.

There are other marvelous possibilities for peas, they said: cold pea soup with mint, of course, and the pea ice cream made famous by their fellow chef Guy Martin.

What about the abracadabra of molecular gastronomy that plays with dehydrators, flash freezers, aerators and smoke guns to deconstruct and reconstruct food and even make small, round, green balls out of emulsions and gels?

“It’s the destruction of nature,” Mr. Savoy said. “It’s not a pea.”

Elaine Sciolino’s Letter from Paris will run monthly in the Dining section. Ms. Sciolino is a correspondent in the Paris bureau of The New York Times and a former Paris bureau chief. She is the author of “La Seduction: How the French Play the Game of Life,” and in 2010, was named a Chevalier of the Legion of Honor.

 

Le navarin : une recette peut en cacher une autre

 

C’est Taillevent (1310-1395) qui, le premier, donne  la recette d’un « héricot (sic) de mouton » qui consiste à faire revenir de menues pièces de viande dans du saindoux, mélangées avec des oignons, puis mouillées d’un bouillon de bœuf et parfumées ensuite avec diverses épices et un trait de verjus. Point de haricots dans ce plat, qui ne seront rapportés du Nouveau monde par Christophe Colomb que deux siècles plus tard. Toute l’ambiguïté de cette recette réside donc dans le mot « héricot », « halicot » ou « haricot » qui vient du vieux verbe « haricoter », c’est-à-dire couper en petits morceaux. Il n’y a donc jamais eu de haricot dans le « haricot de mouton ! » , au moins jusqu’à une époque récente.

En 1651, Le Cuisinier François de La Varenne donne une variation de la « poitrine de mouton en aricot (sic) », sautée à la poêle dans du beurre ou du lard fondu, largement mouillée de bouillon, à laquelle on ajoute des navets « coupés en deux ou autrement », également sautés, un oignon « haché bien menu », un peu de farine, un filet de vinaigre et un bouquet garni de façon à obtenir « une sauce courte. » A la fin du 18ème siècle, Menon dans la Cuisinière Bourgeoise proposera une version différente encore pour « faire un haricot de mouton dans le goût bourgeois. » On pourra, dit-il,  remplacer le bouillon par « une chopine d’eau un peu chaude » tandis que le bouquet garni sera composé de « persil, ciboule, laurier, thym, trois clous de girofle, une gousse d’ail. » Et Menon de préciser : « les navets et la viande étant cuits, ôtez le bouquet, penchez encore la casserole pour ôter  la graisse qui reste. » La sauce ne devra être « ni trop claire, ni trop liée […] de l’épaisseur d’une crème double. » Jules Gouffé en 1867, codifie la haricot de mouton et recommande l’emploi du haut de carré « appelé chapelet en terme de boucherie », de préférence à l’épaule. Il ajoute des pommes de terre à la garniture traditionnelle de navets et d’oignons. Parmentier entre temps, avait su vaincre les réticences à l’égard du fameux tubercule, mettant en évidence le rôle nutritif de l’amidon. On s’apercevra bien plus tard que l’amidon permet d’éviter de singer (fariner) la viande et donne une sauce toute aussi onctueuse.

A la fin du 19ème siècle apparaît, sous le nom de « navarin », une recette identique à celle du haricot de mouton. C’est Lucien Rigaud, dans son Dictionnaire du jargon parisien (1881) qui explicite ce changement de nom : « Navarin, vient de navet et désigne un « ragoût de mouton aux pommes de terre. C’est le vulgaire haricot de mouton appelé pompeusement « navarin » par les restaurateurs des boulevards. »

 

Recette du navarin d’agneau

Pour 4 personnes :

  • 1 kg de collier et d’épaule d’agneau
  • 200 g de carottes
  • 200 g de navets
  • 200 g de petits pois
  • 200 g de pommes de terre nouvelles
  • 2 gousses d’ail
  • 2 tomates moyennes
  • 1 bouquet garni
  • 1 cuillère à soupe d’huile
  • 1 cube de bouillon de volaille
  • sel, poivre

Trancher la viande en morceaux. Faites revenir les morceaux de viande dans une poêle à feu moyen sur toutes les faces. Singer (fariner) légèrement et faites sécher pendant une minute. Si l’on ajoute des pommes de terre dans la garniture, l’amidon suffira à assurer la liaison ;
Placer  la viande dans une cocotte, mouillez à hauteur avec de l’eau. Ajoutez le bouquet garni, les tomates en dés et l’ail écrasé. Délayez le cube de bouillon de volaille dans un peu d’eau et versez-le dans la cocotte. Salez et poivrez. Laissez mijoter pendant une heure.

Ajouter alors les carottes, les navets et les pommes de terre en morceaux. Laisser cuire encore une petite heure. Faire cuire séparément à l’eau salée les petits pois pendant 10 minutes et les ajouter à la garniture.
Disposer les morceaux de viande dans un plat, les légumes autour. Ciseler quelques feuilles d’estragon sur la garniture.
Arroser le navarin avec la sauce réduite (si nécessaire).

 

 

A la façon des Lettres persanes, considérations sur l’alimentation des Français

Lettre XXXVI supplémentaire

De Paris, le 7 de la lune de Moharram.

 

De Usbek à Roxane au sérail d’Ispahan,

Je vous envie, chère Roxane, d’être dans le doux pays de Perse, et non pas dans ces climats empoisonnés où l’on ne connaît ni la pudeur ni la vertu. De beaux esprits s’affrontent à nouveau sur les sujets les plus minces et parfois les plus graves par le truchement d’étranges lucarnes où chacun des candidats à la prochaine élection du Grand Shah peut à loisir donner un avis incongru sur un sujet d’importance. Les esprits sont si échauffés que la nourriture des sujets du royaume – dont la réputation, chère Roxane, est parvenue jusqu’à vos chastes oreilles – est sujet de disputes qui embrasent les estrades et les lucarnes officielles.

Vous vous souvenez assurément de l’étrange débat sur l’identité des habitants de ce pays provoqué par l’un des Vizirs sur ordre du Grand Shah en l’an 1388 de notre hégire (2010). Un quidam mal intentionné ayant rapporté que plusieurs auberges à l’enseigne de Quick avaient décidé de ne servir à leurs hôtes que des viandes licites – halal, selon notre Coran,   « c’est-à-dire issues de bêtes égorgées têtes tournées vers La Mecque » – s’était vu aussitôt répondre sur la toile, cette lucarne qui protège l’anonymat : « Ben, moi, j’en veux pas de la viande sur laquelle on a procédé au rite d’une religion à laquelle je n’adhère pas du tout… mais pas du tout ! » Un troisième également masqué stigmatisait « un trouble à l’ordre public [qui] appelle une action. » Laquelle grand Dieu ? Celle peut-être que l’on faisait subir aux hérétiques au temps de la Sainte Inquisition en les revêtant d’une chemise de soufre avant d’y mettre le feu ? Faut-il alors comme antidote, rétorquait un autre, « faire bénir la bûche de Noël par le Pape ? »

Ceux dont je viens de parler disputaient en langue vulgaire ; il faut les distinguer d’une autre sorte de disputeurs qui se servaient d’une langue savante : « La vache, le mouton, la chèvre, l’orignal, le poulet, le canard, etc., sont halal [autorisés], mais ils doivent être zabihah [égorgés selon le rite islamique] pour être bons à la consommation », commentait alors un prosélyte. Cette juste opinion, chère Roxane, n’avait fait qu’ajouter à l’opiniâtreté des combattants : « Je suis végétarienne, les carottes halal c’est pas pour demain », écrivait l’une ; « On devrait aussi imposer la charia ! », et encore : « Je ne mangerai plus chez Quick, je suis catholique et français. » Ce dernier rejoignait l’opinion de celui pour qui « être français, c’est tartiner avec délicatesse une fine part de camembert sur une tranche de pain croustillant, le tout accompagné d’un bon rouge qui tache (sic) ». Querelle d’ivrogne, avait prévenu Rabelais, en racontant la guerre picrocholine.

Le débat identitaire sur la cuisine vient d’être relancé dans la campagne électorale par l’un des Vizirs les plus acharnés et tourne à la chasse au mahométan. Comment pourrait-il en être autrement dans ce pays querelleur, où Toulouse, Carcassonne et Castelnaudary prétendent chacun être la patrie du cassoulet ? La gastronomie est le révélateur des pulsions d’un peuple. Beaucoup dénoncent ici ce débat comme un calcul politique destiné à exacerber les passions. Je ne crains rien pour une nation dont l’un des candidats – Jean-luc Mélenchon – a reçu le soutien d’un boucher militant, Yves-Marie Le Bourdonnec, qui se prononce en faveur d’une technique d’abattage unique des animaux qui ne contredise pas les lois du Coran.  Réjouissez-vous, Roxane, en notre sérail d’Ispahan, de savoir que le couscous de nos coreligionnaires du Maghreb est toujours plébiscité dans les cantines des manufactures de France.

La farine, les œufs, la viande halal s’invitent dans la campagne…

La campagne présidentielle vue depuis les cuisines a marqué ces jours derniers une accélération brutale. Le geste d’envoyer un paquet de farine sur la figure de François Hollande, comme les œufs qui visaient, à Bayonne, Nicolas Sarkozy peuvent s’analyser symboliquement le premier, comme un refus d’être roulé dans la farine, le second comme une invite à aller se les faire cuire ailleurs.  «  A eux deux ils auraient pu faire des crêpes » commentait un cuisinier goguenard, Villepiniste sans le savoir. Le Salon de l’Agriculture, porte de Versailles, a été une nouvelle fois le rendez-vous obligé de tous les candidats. Dégustation à toute heure et photo spectacle. Ainsi a-t-on vu, François Bayrou brosser la robe d’une puissante laitière et Marine Le Pen, à contre emploi, prendre un agneau dans ses bras ! Mais la tension est montée d’un cran, lorsque le ministre de l’intérieur a affirmé que faire voter des étrangers dans un conseil municipal c’était rendre obligatoire la viande halal dans les cantines scolaires ! Le ministre ne pouvait ignorer qu’en 2004 l’hôtel Matignon avait lancé un appel d’offres auprès des traiteurs, les invitant à chiffrer la fourniture de  « cocktails et buffets déjeunatoires ou dînatoires concernant les prestations dites spécifiques de type casher et halal (sic)» Ces références implicites, tant au Lévitique XI, qu’à la 5ème Sourate du Coran, constituaient à l’époque une première, car jusque là, les observances alimentaires religieuses ou le régime médical des hôtes du Premier Ministre étaient réglés par le service du protocole. Aux traiteurs dorénavant, de s’assurer du respect des rituels d’abattage des animaux sans étourdissement préalable, par des « sacrificateurs » dûment habilités, soit par le Grand Rabbinat, soit par l’une des Grandes Mosquées de France ! Démonstration qu’en politique « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » reste d’une cruelle actualité. L’appel d’offres de Matignon, cependant, n’indiquait ni si ces prestations étaient concomitantes ou successives, ni si elles obéissaient à un souci œcuménique ou communautariste. Leur officialisation risquait cependant d’ouvrir la voie à des situations cocasses si le Premier Ministre s’avisait de recevoir en même temps des Sikhs carnivores du Penjab et des Jaïns ovo-lacto-végétariens du Nord de l’Inde ou encore des Inuits qui ne se nourrissent que de caribou ou de chairs de phoque, de morse ou de béluga (riches en oméga 3) obligatoirement cuites dans un ustensile de stéatite. Cette affaire reprise depuis par François Fillion (sur Europe 1) incite à prendre un peu de hauteur et rouvrir le Catéchisme du Japonais (in Dictionnaire philosophique de Voltaire. 1764) dans lequel un Indien et un Japonais débattent des mœurs de table et des interdits religieux. L’Indien s’étonne du fait que l’empire du Japon possède douze factions de cuisine : « Vous devez avoir douze guerres civiles par an ? » Le Japonais lui répond qu’à la table du cuisinier pacifique chacun  est libre de manger ce qui lui plait « lardé, bardé, sans lard, sans barde, aux œufs, à l’huile, perdrix, saumon, vin gris, vin rouge. » L’Indien insiste : « Mais enfin il faut qu’il y ait une cuisine dominante, la cuisine du roi. » Le Japonais admet : « Il n’y a que ceux qui mangent à la royale qui soient susceptibles des dignités de l’Etat, tous les autres peuvent dîner à leur fantaisie mais ils sont exclus des charges […] Le dîner est fait pour une joie recueillie et honnête, et il ne faut pas se jeter les verres à la tête. » Depuis Voltaire, le progrès a rétréci le globe, mais il n’a pas eu raison des barrières, fussent-elles électorales, qui divisent encore ses habitants.

Le Guide Michelin accorde une étoile au Fouquet’s

Le Guide Michelin 2012, en librairie le 1er mars, accorde une première étoile tout à fait inattendue, encore que méritée, au Restaurant Diane, la table haut de gamme située au premier étage du Fouquet’s qui était cette semaine encore objet de polémique au sein  de la campagne présidentielle. Interrogé par David Pujadas au journal de France 2 sur la fameuse Soirée au Fouquet’s en compagnie de ses amis du CAC 40, Nicolas Sarkozy a (difficilement) lâché : « Si c’était à refaire, je ne viendrai pas dans ce restaurant…puisque ça a été le début du feuilleton. »  Et d’annoncer qu’il aurait l’occasion « d’en parler aux Français. » (On peut voir la vidéo sur Rue.89). Nous n’avons donc pas fini d’entendre parler du Fouquet’s ! La campagne présidentielle va pouvoir s’affranchir des questions subalternes – la dette, la crise, l’Europe, l’emploi – pour tout révéler sur cette fameuse soirée, digne de l’Olympe caché aux mortels par les nuages, sur lequel les dieux de la Grèce antique, en compagnie des géants du CAC 40,  passaient leur temps à festoyer, leur boisson favorite étant le célèbre nectar et surtout l’ambroisie qui les rendaient immortels. Le Guide rouge étant édité  sous l’égide de la société clermontoise de pneumatique – alors que Michelin est un membre éminent du CAC 40 –  certains souligneront qu’une nouvelle fois Voltaire avait raison : « Mon Dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge. » L’on aurait sans doute tort de voir malice dans cette promotion, car la cuisine du Diane, supervisée par Jean-Yves Leuranger, meilleur ouvrier de France, avec un menu à 68 € au déjeuner, est agréable et raffinée. Mais empêchera t’on les esprits voltairiens de penser qu’une main amie  est intervenue pour corriger l’image Bling-Bling du Fouquet’s en l’accueillant parmi les étoilés ? Voltaire voilà l’ennemi, diront ceux qui brocardaient Madame de Lafayette et sa Princesse de Clèves, se ralliant à l’avis de Paul Claudel : « L’imbécile et dégoûtant Voltaire, pareil à un grand vieux singe pisseur !»

 

Au « 1947 » à Courchevel : Yannic Alleno au sommet !

Jean-Christophe Photo, Studio Bergoend

C’est à l’Hôtel Cheval Blanc, parangon de la sophistication et de la gastronomie réunies, déjà gratifié de deux étoiles au Michelin, que Yannick Alleno, le chef du Meurice (3 étoiles à Paris) vient de concevoir un nouveau modèle de restauration haut de gamme qui bouscule les codes. Le groupe Bernard Arnault (LVMH) n’a pas lésiné sur les moyens, le décor confié à Sybille de Margerie, le matériel dernier cri, et aussi un four à bois, pour créer, dixit Alleno, « le meilleur restaurant du monde ! » Il a fait le constat que la génération des chefs à laquelle il appartient, formée par les héritiers de la nouvelle cuisine ou bien soumise, pour quelques uns, à des influences allogènes, devait créer ses propres repères et délimiter son territoire. « La cuisine ne se borne pas à l’emploi des ingrédients à la mode, résume t’il, hier le poivre vert et les baies roses, aujourd’hui le cumbawa, le yuzu et les algues. » La modernité ne s’exprime pas plus dans une nouvelle disposition de la clientèle juchée sur des tabourets, sommée de considérer avec respect, en en musique, la brigade qui s’agite en silence devant elle. Il a donc repensé entièrement l’aménagement du « 1947 », comme un nouvel espace gourmand, une entité cohérente, inspirée certes des formes passées, mais totalement novatrice. « 1947 » est aussi le millésime du siècle dans ce fleuron qui est avec Pétrus, le vin de Bordeaux le plus célèbre de la rive droite. D’emblée la barre est donc fixée dans le très haut de gamme.

Ouvert depuis le 9 décembre 2011, le « 1947 » est accessible par un couloir dérobé dont l’ambiance tranche avec l’opulence du reste de l’hôtel, ses salons – Dior, Guerlain – son Spa et autres équipements prestigieux. Les matériaux sont nobles, mais discrets. On accède à la salle à manger – vingt couverts pas plus – distribués sur des tables rondes disposées sous des coupoles de corian immaculées et ouvragées, destinées à offrir une bonne correction acoustique. Ouvert sur la nature, cet espace de dégustation est contigu d’un vaste office, lui-même en relation directe avec une cuisine en longueur dont on ne voit que le petit côté. Alleno privilégie ainsi une sorte de lien organique et fusionnel entre la zone de préparation / cuisson – la cuisine -  et la salle de dégustation, à la fois séparée et reliée par un vaste office, constitué d’un plan de travail circulaire servant aussi bien de guéridon pour la découpe que de desserte, et même de plateau pour le chef, au sens théâtral du mot. Astucieux et novateur. Une dizaine de cuisiniers s’affairent dans un espace laboratoire ouvert sur le vaste office. Les hôtes – on n’ose à ce niveau les qualifier de clients – ne sont qu’une vingtaine chaque soir admis à partager un menu (390 €) conçu comme une œuvre musicale, basée sur l’harmonie et le contrepoint, à l’instar des Variations Goldberg du Cantor de Leipzig, c’est-à-dire un raffinement de saveurs basé sur une technique culinaire contrapuntique. Autour du plat central – une pièce rare de turbot de 6 à 7 kg cuit au four à fois, ou bien un chou farci au foie gras de canard et truffes noires en garniture et encore un dos de chevreuil sauce poivrade, voire une poularde de Bresse au pot – la brigade propose d’abord deux services distincts de petits hors d’œuvre aux goûts tranchés, puis autant d’entrées aux saveurs délicates et nuancées. Ensuite, après la pièce unique, imposée,  fromage choisi et nouvelle série de desserts gourmands ou rafraîchissants. Tout est envoyé à la demande avec un minimum de mise en place. Là est le véritable luxe de ce projet. Le pari de Yannick Alleno est le respect de la biodiversité et le choix exigeant de produits d’exception qui justifient également l’adition. Ainsi s’est-il assuré la totalité de la production de beurre de la Ferme du Ponclet, dont rares les vaches de race Froment-du-Léon en Bretagne, produisent un lait à 48 g/l de matières grasses, riche en carotène, unique, et un beurre, jaune bouton d’or, exceptionnel. « Il n’y a pas meilleur beurre français » s’enthousiasme le chef. “God’s in the details” disait l’architecte Ludwig Mies van der Rohe.

« 1947 » Cheval Blanc, Le Jardin Alpin – 73120 Courchevel. Tél. 04 79 00 50 50