Le Petit Vatel, modeste bistrot, en arrière du Marché Saint Germain, vient de changer de mains. Créé en 1897, il aura survécu à deux guerres mondiales et, depuis 1997, résisté aux modes successives du régime crétois, de la fusion, du sushi et de la chimie à tout va, grâce à Sixte de Saint Hilaire, qui a livré son testament culinaire dans un livre de recettes, publié en 2007 chez Arléa. C’était un hommage à la cuisine bourgeoise à qui nous devons une bonne partie de l’art de vivre à la française. Les étrangers ne s’y trompaient pas qui venaient chercher dans cette institution bistrotière le vol au vent, les terrines ou le plat mijoté. La cuisine bourgeoise qui entendait d’abord « éviter la dépense et simplifier la méthode » est devenue celle du juste milieu depuis qu’elle se préoccupe aussi de notre plaisir et de notre santé. Certes beaucoup de malins et quelques coquins ne se privent pas d’en dévoyer les principes à coup de produits industriels et d’arômes synthétiques. L’attrait du Petit Vatel, c’était une addition raisonnable et, parfois, des vins inattendus. En 2007, on pouvait encore se nourrir d’un plat à 5 € et d’un petit menu à 13 €.
Aujourd’hui, l’ardoise propose chaque jour des plats du marché. Et si les prix ont augmenté, la qualité des produits aussi s’est améliorée. Mais l’esprit d’antan demeure : on songe à un restaurant, dans les environs de Toulouse, dont l’enseigne mentionnait encore, dans les années 1960 : « Restaurant ouvrier, cuisine bourgeoise.» Certes, à Saint Germain des Prés aujourd’hui, les ouvriers sont rares, mais les petits boulots titulaires de CDD, petites mains chez les éditeurs du quartier, écrivains en quête d’éditeurs, intellos, musiciens et intermittents se retrouvent volontiers au Petit Vatel, au point de constituer une clientèle d’habitués. Les œufs mimosa, le feuilleté de boudin ou le tarama au prix de 6 €, côtoient le filet de hareng, la salade de foie de volailles, la soupe ou la salade de lentilles, au même prix. Seul, l’os à moelle (8 €), et le fois gras de canard (10 €) dépassent la limite. Parmi les plats du jour, le confit d’épaule d’agneau aux pruneaux ou le lapin en croûte de polenta, voisinent avec bœuf carottes, le pavé de viande de Salers poêlé et le chou farci, entre 15 € et 16 €.
On a pu dire que la cuisine bourgeoise, qui entendait concilier la dépense, le plaisir et la santé, était celle du juste milieu. Aux sauces fines de la cuisine opulente, elle préfère des préparations plus modestes jusqu’à cette recette du « gigot façon chevreuil », qui n’est autre qu’une marinade de viande d’agneau en lieu et place du gibier. Nous conservons l’héritage de cette cuisine, dans nos goûts, dans nos appréciations, dans nos appétits. Ainsi de la soupe aux lentilles, du potage commun de courges, du pot-au-feu, du haricot de mouton ou de la blanquette de veau. Des desserts de l’enfance, le Petit Vatel, nous offre un gâteau au cédrat confit, un fondant au chocolat ou des poires au vin. Tous facturés 6 €.
« La mémoire de Paris est notre seul bien » disait Stéphane Mallarmé. Le Petit Vatel reste le trésor commun des poètes et des écrivains, des gourmands aussi, lorsqu’ils font l’effort d’y dénicher une place C’est le Navire Night, disait Marguerite Duras, qui s’avance à notre rencontre où l’on est sûr de trouver des habitués, compatissant sur les sort du monde, en partageant, autour d’une cuisine de ménage, des vins « religionnaires », protégés de l’immense complot économique et libéral. Vins non sulfités, non filtrés, vins de raisin, sans pedigree !