Sola, cuisine fusion franco-japonaise dans l’univers manga

 

Cet ancien Bouchon de François Clerc, repris sous l’enseigne éphémère de Toustem par Hélène Darroze, vient d’entrer dans l’univers manga sous le nom de Sola (le ciel en japonais), au numéro 12 de l’ancienne rue des rats. C’est un élégant restaurant de plain-pied avec poutres apparentes et sous-sol voûté que le jeune Youlin Ly, Français d’origine asiatique et méditerranéenne, vient d’ouvrir avec le chef japonais Hiroki Yoshitake, un ancien de l’Astrance. Elégant et spartiate, sans fioriture excessive ni débauche de couleur, l’esprit zen de la cuisine se chargeant de provoquer l’illumination intérieure. Précisons que la disposition des lieux, assez classique au rez-de-chaussée, s’inscrit à l’étage inférieur, dans un décaissement où les tables basses impliquent d’enlever ses chaussures et une position assise assez singulière. On l’aura compris, nous sommes ici dans un établissement dédié à la fusion des cultures et des goûts entre la France et le Japon.

Pas de menu, le choix est restreint – selon l’inspiration du chef – entre une petite dégustation (45 € le soir) et une grande dégustation (60 €). Au déjeuner, les prix sont respectivement 35 € et 50 €. C’est la nouvelle tendance des restaurants branchés que de proposer ainsi des menus surprise, sans ce soucier de la législation. Il est vrai l’exemple vient de haut depuis que l’Astrance (trois étoiles Michelin) à inauguré cette formule dont on peut espérer qu’elle restreint l’usage des frigos ! La « petite dégustation » du dîner du 16 mars proposait en premier lieu une fusion de légumes verts, petits pois, fèves, asperges, œuf poché assaisonnée d’une émulsion de petits pois, feuilles de capucines et pommes au soja, soit une entrée lisible, bien distribuée dans l’assiette, savoureuse. A suivre, la seconde entrée d’encornets, calamar, et champignons (iringi et de Paris) servis sur une duxelles m’a paru associer les textures à la recherche d’une harmonie des couleurs, à l’art de la découpe et au choix de la vaisselle (voir photo). Comme “ikebana”, l’art floral,  cette cuisine suppose la construction d’une forme sensible, adaptée aux mets. Quant aux goûts – c’est l’esprit même de la fusion – ils restent assez proches de ceux auxquels nous ont habitués les tables asiatiques. Le plat principal, ce soir là, était composé d’un tronçon de bar de pêche à la sauce moromi  (puissante fermentation de graines de soja, farine de froment, moisissure de champignon filamenteux, sel et eau), et de légumes sautés nature, tandis que celui servi à mon hôte était composé d’un filet mignon de jambon espagnol, jus corsé et purée de chou fleur. Etrange dessert pour conclure d’un chocolat au camembert, dans lequel je n’ai pas perçu si l’intention était un hommage à la Normandie ou un gag pour intellectuel.  

L’ordre de la cuisine japonaise est ténu. C’est le monde de la miniature, le grain de poivre minimal du souvenir. La cuisine japonaise est – elle une cuisine des terroirs? C’est plutôt une cuisine des usages, où le geste précis signifie un mode d’être, et induit une esthétique. Celle du passage parmi les choses incertaines et “mouvantes”. Ne pas se gaver, découvrir le concentré, comme ces fleurs du cerisier qui s’envolent au vent du printemps aigre. On peut comparer cette esthétique empruntée avec la démarche des peintres Nabis qui s’étaient emparés des fameuses estampes japonaises, ces images du monde éphémère (Ukiyo-e).

Compter 109 € pour deux avec une bouteille de l’excellent Marsannay 2007 de Sylvain Pataille.

Sola. 12, rue de l’Hôtel Colbert. 75005- Paris. Tél. : 01-43-29-59-04. Fermé dimanche et lundi. Voiturier le soir.   www.restaurant-sola.com

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LE BAR AU LAIT DE COCO, UNE NOUVEAUTÉ CHEZ VONG

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Un nouveau plat de poisson vient de faire son entrée sur la carte du chef Vong. Le bar, cuit sur l’arête à la vapeur est délicatement levé en filets et présenté sur un plat accompagné d’une sauce au lait de coco relevé d’herbes fraîches, et d’épices douces et parfumées. Ni crème, ni beurre ou gélifiant, dans cette sauce d’une incomparable légèreté ! La cuisson vapeur a préservé la chair du poisson blanc au sortir du vivier, car c’est un produit d’élevage, mais en provenance d’une ferme aquacole de qualité. C’est ce qui fait la différence avec bien des poissons sauvages qui ont trop longtemps séjourné sur la glace. Ce plat s’accompagne de riz gluant (glutineux serait plus juste) à forte teneur en gluten qui donne à la cuisson un aspect collant et opaque. C’est une variété de riz à grain court. Il peut se cuire à la vapeur ou par absorption et sert souvent à enrober les boulettes de porc. Il est utilisé, ici, en accompagnement, comme le riz à grain long cuit en excès d’eau et permet de « saucer » puisque le pain n’apparaît pas sur la table de l’Empire du Milieu.

Il y aura bientôt trois décennies, le chef Vong Vai Kuan installait au cœur de Paris son auberge campagnarde chinoise inspirée de l’époque de la concession française de Shangaï (1849 – 1946) dans un bâtiment datant du 18è siècle, occupé par un mandataire aux Halles. Sa cuisine, classique, sans apport de glutamate, est réalisée avec des produits labellisés ou d’A.O.C., et des préparations maison. Ainsi les poulets proviennent-ils  de Bresse, les canettes de Challans et le bœuf de Normandie. Là est toute la différence aussi bien pour un poulet à la Sichuanaise, un canard rôti à la cantonaise ou un filet de bœuf sauté à la sauce X.O.  Préparations aigres-douces, salées, neutres, acidulées ou épicées, raviolis et dim-sum, toute la gamme des cinq saveurs de la cuisine sont présentes à cette table, dont les prix savent rester raisonnables pour des produits et des préparations d’un tel niveau.

Notre époque qui bouscule les certitudes, abolit les frontières, même celles du goût, a suscité chez ce talentueux cuisinier chinois de Paris, un cheminement inverse à celui qu’empruntent désormais plusieurs tables parisiennes néo asiatiques en mal d’exotisme. Comment adapter, en la modernisant, la fameuse recette du canard laqué pékinois ? Après plusieurs essais, M. Vong a jeté son dévolu sur une volaille de Bresse et réalisé une création mondiale : le poulet laqué à la pékinoise (que l’on peut aujourd’hui obtenir sur commande). Le poulet, comme le canard, a été plumé, éviscéré, puis épilé, afin que la peau soit d’une infinie douceur. Une fois les orifices recousus avec une alène, l’artiste culinaire pratique une incision dans le dos du poulet afin d’introduire l’embout d’une pompe à air. Le poulet se met à gonfler, comme un ballon de rugby. Il est ensuite placé sur un hâtelet et badigeonné d’un mélange de soja et de miel. Il passera une douzaine d’heures dans un endroit frais. Puis il sera cuit, à la commande, le lendemain, dans une étuve ; une demi heure suffira pour que la peau, à nouveau tendue et croustillante, prenne une couleur mordorée, différente certes de celle du canard pékinois, mais absolument succulente. Pendant ce temps, la cuisine s’affaire à la préparation d’une sauce composée d’huile de sésame, de pâte de haricot et de soja qui servira à assaisonner les petites crèpes de riz garnies de cébettes ciselées sur lesquelles seront disposées les morceaux de peau croustillante. Le résultat est incomparable !

Quel est le secret de ce chef ? L’emploi des meilleurs produits, un travail acharné et une équipe – en cuisine et en salle – totalement engagée à ses côtés. Et aussi, le don que possèdent quelques rares chefs chinois de pouvoir passer du monde des saveurs à celui de la « non saveur » avec un égal bonheur. Quand la plupart des cuisiniers asiatiques se satisfont de produits médiocres et d’un assemblage de goûts corrigés par le jeu des épices, le cuisinier Vong sait exactement le but à atteindre, par un effet de miroir, entre le symbole du plat et sa réalisation. A l’image des artistes qui ne s’inspirent pas de la Nature mais finissent par la rencontrer, il maîtrise la conception abstraite qui donne à la cuisine chinoise sa dimension symbolique. On attendait les Chinois à Meudon, voici le coq bressan dans les faubourgs de Pékin !

Quelques plats de cuisine vietnamienne également. Menu dim-sum (au déj. en semaine : 23 €.) A la carte, compter de 30 € à 50 €.

 

10, rue de la Grande Truanderie.75001 – Paris.Tél. : 01-40-26-09-36. Fermé le dimanche.

 

 

 

 

 

Le Mussuwam, cuisine sénégalaise

Le Mussawam, cuisine sénégalaise

La cuisine africaine est essentiellement familiale, c’est pourquoi, en général, nous ne la connaissons pas. Elle n’a pas d’ailleurs de véritable unité. Des points communs cependant se retrouvent, avec les produits de base proposés sur certains marchés, épiceries et restaurants de Paris. Ce  sont les mêmes, mil, sorgho, maïs, servant aux semoules, les fruits et légumes d’importation directe comme le gombo, le nyan-nyan, la patate douce, le tamarin et la banane plantain, les poissons, poulets qui  sont utilisés suivant les régions.

 

La cuisine africaine est méconnue, mais quelques spécialités sont appréciées. Le Kédjénou de Côte d’Ivoire, poulet cuit à l’étouffée, dans un récipient en terre, ou bien le Foutou, purée de banane plantain et de manioc, et le poulet aux arachides du Sénégal.

 

Grace à Coumba Diop, journaliste et auteur d’un ouvrage consacré à la cuisine sénégalaise, nous avons découvert une très bonne adresse : Le Mussuwam, créé l’an passé par la jolie Awa Ba Laviale, ancien mannequin, aidée en cuisine de ses deux sœurs Yacine et Tidiane, ce petit restaurant chaleureux présente une cuisine authentique et parfois quelques créations qui, toujours, respectent les saveurs du pays, comme les accras de noix de saint jacques. Sur l’ardoise, thiebou yap, et tarte à la mangue. Les portions sont abondantes et le service très attentif.

 

La colonie africaine à Paris est multiple. Elle a ses modes de coiffure, sa façon de s’habiller. Depuis quelques années l’expression, “Paris-noir”, a fait son apparition, et s’est manifesté par la mode vestimentaire, la manière de se coiffer, l’intense présence musicale, et maintenant les coutumes alimentaires bien présentes, avec les fournisseurs de “produits-pays”, et de bons  restaurants, souvent négligés par les Guides gastronomiques. Une grande partie des restaurants africains de Paris sont des établissements  de quartier, fréquentés par une clientèle d’habitués. Mais certains se sont fait une solide réputation, qui déborde largement le cadre de l’immigration.

 

Le Mussuwam, 33 boulevard Arago 75013 Paris. Tél. : 01 45 35 93 67 Fermé le dimanche.

Compter env. 35 €.

Autres tables africaines :

Le Petit Dakar, 6 rue Elzevir 75003 Paris. Contact : Marie Diatta : 014459347

Ce restaurant se trouve en plein coeur du marais. Il a appartenu plusieurs années à Youssou N’dour (le chanteur)  avant d’être racheté l’année dernière par Marie Diatta, une casamançaise. Carte 100 % sénégalaise.

 

Le Palanka, 15 rue des Lombards 75004 Paris. Tél. : 01 42 77 29 26

Situé dans le quartier des Halles, plutôt branché, ice restaurant appartient à un sénégalais qui a fait une carte africaine (plusieurs plats de différents pays du continent) avec des spécialités sénégalaises comme le mafé, le yassa et le thiébou dieune. C’est plutôt un établissement du soir qui vibre en fin de semaine. Son point fort : il est central avec un large répertoire des plats du continent.

 

Lire : La Cuisine du Sénégal. Coumba Diop a recensé en 40 recettes les richesses culinaires du Sénégal, dans une excellente édition chez Hachette Pratique (2010. 14, 50 €).

LE NAPOLEON

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Voilà un bistrot délirant ! Oui, mais bon, ce qui n’est pas si fréquent, car il y a un chef en cuisine, un vrai, Didier Longiéras, ancien du Crillon et de la Tour d’Argent. Il met son savoir faire au service d’une jolie cuisine de brasserie avec des escargots finement assaisonnés d’un beurre d’ail, un foie gras aux pommes ou à la mangue, un millefeuille d’aubergines et flétan fumé… Chacune de ces entrées est proposée en portion dite normale ou bien « XL ». Ainsi la planche de charcuteries corses – Napoléon oblige – est-elle facturée 11€ ou18 €. Les « planches » sont garnies au fromage, aux poissons fumés ou bien aux légumes de saison. Les œufs bios, ce qui est plutôt rare, sont servis au plat ou brouillés, au bacon, au jambon fumé ou blanc. Deux plats du jour épatants : le lamb chop d’agneau et le bœuf bourguignon surtout, sans (mauvaise) surprise, fondant et servi avec une sauce délicate, ce qui est tout aussi rare. Les plats de la carte sont éclectiques : entrecôte et tartare, cabillaud aux herbes à la plancha, et aussi volumineux cheese burger. Même variété dans le choix des desserts, moelleux au chocolat et crème anglaise, crème brûlée et encore cheese cake dans la tradition new-yorkaise. Jusque là, rien que de presque classique dans la nouvelle bistronomie parisienne. Ce qui l’est moins c’est le décor, entièrement rénové de cet établissement, acquis depuis deux ans par Rafal Gruszkiewicz, et consacré, allez savoir pourquoi, à la célébration de l’empereur. Certes, le patron est d’origine polonaise, mais ce n’est ni la célébration du Grand-duché de Varsovie (1807-1815) créé par Napoléon, ni celle des Légions polonaises de l’armée française qui a présidé au choix d’une évocation décalée et passablement iconoclaste de l’Empire. Un portrait holographique du futur hôte de Sainte Hélène, se transforme selon l’angle du regard, en visage de Joséphine. Bon ! Des objets chinés d’origine slave ou anglaise rappellent les campagnes napoléoniennes. Il y aurait de quoi horrifier l’immense historien Jean Tulard, spécialiste de Napoléon, s’il n’était aussi l’auteur d’un charmant petit livre sur Les Pieds Nickelés de Forton. Voilà donc l’explication : ce bistrot, au cœur du Paris populaire, à l’angle des rues du Faubourg Saint Denis et des Petites Ecuries, est une annexe clandestine des pataphysiciens que sont, à la suite d’Alfred Jarry, les derniers pieds nickelés de notre époque. Rafal alias Raphael, le patron, jovial et débonnaire, est au demeurant, un hôte parfait veillant à l’efficacité du service. Seul bémol, la carte des vins est encore modeste.

Le Napoléon 73, rue du Faubourg Saint Denis. 75010 – Paris
Ouvert tous les jours, du lundi au vendredi : 8h – 2h – Samedi et dimanche : 9h – 2h

Compter de 15 € à 30 €

Un air de jeunesse au Vieux Comptoir

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- Qu’avez-vous comme vin blanc au verre ? » La question émane d’un couple qui vient de s’attabler. Anne, patronne jeune et affable, verse à chacun de quoi goûter généreusement.

 

- Tenez, essayez celui là, c’est un vin de pays du comté tolosan ; un Burgale du domaine de Genouillac. »

 

Surpris que l’on leur fasse déguster un vin servi au verre, les clients semblent hésiter. Anne pose la bouteille sur la table :

 

-« Si vous ne l’aimez pas, je vous proposerai autre chose ; si vous en voulez plus, on le comptera ensuite à la ficelle. » Autrement dit, au compteur : ne sera facturé que ce qui aura été bu. La jeune serveuse écossaise, Mhairi (prénom gaélique) pose d’office sur la table une petite assiette de jambon de Téruel, l’un des meilleurs pattes blanches d’Espagne.

 

La scène se passe dans un restaurant typiquement parisien, à la mode depuis des lustres,  c’est -à-dire un bistrot.  Mot d’argot ou de russe, on ne sait plus.  Atmosphère désuète, accentuée par la manie du film  noir et blanc, genre “La Traversée de Paris” d’illustre mémoire ; une mémoire faite de clichés, ne nous y trompons pas. Le quartier s’y prête, vestige du Paris moyenâgeux entre le Châtelet et l’église Saint Germain l’Auxerrois.

 

La facilité, sous une forme insidieuse, aurait été de faire un « néo bar à vin » comme il y en a tant. Soit pour le client, la fashion-victim, le choix entre deux vins aigres de négociants, un sauvignon anonyme ou bien un beaujolais à prix exorbitant.

 

 

 

Anne et Cyril, lorsqu’ils ont repris le Vieux Comptoir, ont décidé de faire autrement. Elle lyonnaise et lui, né en Moselle, se sont connus à l’Ecole hôtelière ; ils ont fait leurs premières armes « Au rendez-vous des amis », dans le Marais. Du Vieux comptoir, ils ont fait une adresse chaleureuse et moderne. Maintenant, les clients reviennent pour goûter des vins et finalement se laisser guider. Pour cela, Anne arpente le vignoble afin de dénicher quelques pépites : la cuvée Jade du domaine Ollier-Taillefer par exemple, à Faugères (Languedoc). « Nous n’avons pu débuter et constituer une cave que parce que certains vignerons, nous ont fait confiance, comme Jean Foillard en Beaujolais, dit encore Anne. » Son plaisir très apparent, c’est de déguster avec des amateurs de vin, novices ou confirmés et de temps à autres, organiser des soirées en présence des vignerons. Sur le comptoir, un impressionnant magnum de château Massereau 2005, lui aussi servi à la ficelle. Voilà un bistrot idéal pour l’initiation aux vins de qualité. Le novice ne sera ni raillé, ni dépouillé car les prix ne flambent pas : clos de l’oratoire de papes en 2007 (55 € la bouteille), côte de py de Foillard (35 € la bouteille).

 

 

 

Cyril en cuisine est un fétichiste du produit. La charcuterie (Jura, pâté de l’Ardèche, Pays basque) est soigneusement sélectionnée, comme les saint jacques ou le poisson servi en tartare ou encore les couteaux poêlés à l’huile d’olive en entrée. Le boudin basque est celui de Christian Parra, la référence ! Certains plats, il est vrai, sont largement crémés. Le rognon de veau de Corrèze – servi entier, magnifique – gagnerait à un accompagnement plus sapide. Mais le bourguignon de joues de bœuf est moelleux, cuit lentement, délicieux. Viande rouge de provenance Maine – Anjou. Les desserts sont inévitablement régressifs avec le chocolat, un baba ivre de rhum, des gaufres et des tartes aux fruits.

 

Au Vieux Comptoir. 17, rue des Lavandières Sainte Opportune. 75001 – Paris. Tél. : 01-45-08-53-08. Ouvert du mardi au samedi de 10 h. à minuit. Plat du jour : 13 € au déjeuner – A la  carte, compter de 30 à 50 €

Le Dauphin du quatuor Koolhaas, Blanchet, Aizpitarte, Peneau

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A l’automne 2010, la nouvelle avait fait un fameux buzz dans les microcosmes de la gastronomie et de l’architecture : Inaki Aizpitarte chef du Chateaubriand, avenue Parmentier, venait de confier l’aménagement d’un nouveau restaurant à l’architecte Rem Koolhaas. Encore en chantier, il obtenait même le prix du meilleur décor 2010 attribué par le Fooding, fidèle soutien du Chateaubriand depuis son ouverture il y a cinq ans. Certes le Chateaubriand est devenu un incontournable de l’Est parisien avec une cuisine décalée, ludique et gourmande. Mais de là à faire appel à Koolhaas…évincé du concours des Halles en 2004 par des boutiquiers arrogants ! Il faut croire que le constructeur d’Euralille et de la Fondation Prada à Milan n’est pas rancunier et surtout qu’il a privilégié ses liens d’amitié avec Inaki Aizpitarte et son associé Frédéric Peneau, lui-même architecte de formation. Bref, le « chantier » qui n’est pas encore tout à fait achevé, ouvert cinq jours sur sept, travaille à bureaux fermés. C’était auparavant un bistro de quartier, dont le nom a été conservé « Le Dauphin », avec son comptoir en étain, luisant et courbe derrière lequel le patron, auvergnat sans doute, servait des apéritifs multicolores Suze, Cinzano, Martini. Guère plus de 80 m², c’est sans doute l’un des plus modestes projets jamais confié à Koolhaas. L’entrée se fait de coté, dans un espace tampon vitré à même le trottoir, escamotable l’été. Insolite.

Avec Clément Blanchet, l’architecte a conçu un décor en creux destiné à donner de l’espace grâce à des jeux de miroirs et un matériau inattendu, le marbre « à livre ouvert », mais banalisé, employé tout à la fois sur les murs, le sol et même le plafond. L’effet visuel est saisissant, car le même matériau recouvre aussi un bar central en fer à cheval, aux soubassements en acajou. Presque une annexe du Taj Mahal ! Un peu froid, certes, mais somptueux. Claude Peyrot, le chef du Vivarois, avait aussi réalisé un décor marmoréen dans son restaurant triplement étoilé de l’avenue Victor Hugo, avec chaises et tables Knoll dans les années 1970. Il avait dû le modifier au grand dam de Jean-Paul Philipon, son architecte, car la clientèle bourgeoise de l’époque était plus que réticente. Le Dauphin ne court pas ce risque car la froideur du lieu est vite couverte par le vacarme des clients, dès le premier verre. Au dernier c’est assourdissant. Le marbre en effet, n’assure aucune correction acoustique et accentue la réverbération du son. « Nous allons remédier rapidement à ce problème, assure Fred Peneau, en disposant des matières absorbantes sans nuire aux choix esthétiques. »  La cuisine du Dauphin est un prodige d’habileté qui parait adapté à l’air du temps – légèreté, petites portions, mixage des saveurs – mais respecte les goûts des produits, et les compose, parfois de façon savante, et souvent juste. Ainsi les pétoncles, poireaux et lard de Colonnata, légèrement farcis, ou bien la très allusive saint jacques en bouillabaisse. Une belle réussite : le céviche à l’eau de concombre, entrée rafraîchissante et colorée. « Dieu est dans les détails » disait l’architecte Ludwig Mies van der Rohe. Ici c’est une purée d’olives noires de Kalamata (sans la peau !) qui rehausse le paleron de bœuf wagyu servi sur un lit de choux. Un délice. Une saucisse artisanale un peu rustique  est associée à une déclinaison de navets jouant sur des notes d’acidité. Le tartare de bœuf, la tempura de gambas… sont servis en portions modérées, par un service félin et accueillant ( prix de chaque plat entre 7 € et 16 €). Camille, au bar, gère son petit monde avec empressement. La carte des vins est encore un peu courte, mais propose quelques pépites : le blanc de blancs de Jacques Lassaigne, le morgon de Foillard, le K du Château Massereau. Voici donc un nouveau lieu de convivialité, qui, une fois les ajustements réalisés, devrait connaître un beau succès.

Jean-Claude Ribaut

Au déjeuner : entrée / plat ou plat / dessert : 23 € – entrée, plat, dessert : 27 €

Le soir compter : de 40 à 60 € sans les vins.

Le Dauphin :131, avenue Parmentier. 75011- Paris. Tél. : 01 55 28 78 88

Fermé le samedi midi, dimanche et lundi.

Terroir, technologies : un bar à vins du XXIè siècle à Paris

Les bars à vins avec leurs cortèges d’habitués, goguenards à la vue du touriste ou de l’indécis, peuvent donner au curieux une fâcheuse impression de ne pas être du même monde.

En matière de vin comme de religion, chacun sa paroisse : vin bio, vin de cépage du nouveau monde, vin nature, vin technologique , biodynamique, à l’ancienne…Des classiques aux libertaires, chacun semble persuadé de détenir la vérité :  le bon,  le vrai vin, c’est comme ça qu’il est fait !

Aussi, boire un verre  après le boulot peut se révéler  un vrai casse tête pour celui qui voudrait tout simplement passer un bon moment, découvrir de nouveaux vins et échanger avec  d’autres amateurs.

Wine by One, à la fois bar à vins, caviste et club de dégustation est une riche idée, une formule inédite : un lieu où chacun est autonome, libre de choisir le style, la quantité, le prix, dans un cadre moderne et décontracté.

Le système est simple, et adapté à notre temps : une carte à puce vous est remise à votre première visite donne accès à une centaine de bouteilles disponibles en permanence.

Regroupées de manière très intuitive (blanc vif, rouge fruité, intense…) et présentées tout autour de la pièce,  vous pourrez faire un moment du « lèche-vitrine »  avant de vous décider à goûter une dose de dégustation (3cl), ou de reprendre un verre de cette fameuse bouteille qui vous avait tant plu la dernière fois : la sélection de Stéphane  est aussi pointue que renouvelée.

Un « winepad », autre surprise, donne accès à la fiche de dégustation de chaque vin, compréhensible par les néophytes et rappelant les informations essentielles pour les connaisseurs.

Vous pourrez emporter une bouteille,  car Wine by one est aussi caviste : mais là, pas de mauvaise surprise, goûtez avant d’emporter !

■ Fleur Godart

Wine by One – 9, rue des Capucines. 75001 – Paris 1er

Tél. : 01-42-60-85-76  Ouvert du mardi au vendredi de midi à 22 h. Le samedi de 15 h. à 20 h.

Le retour du bon pain

La baguette

Obtenue par pétrissage rapide de farines et un pointage lent ; sa cuisson dans un four classique assure une croûte croquante et fine, et une mie bien alvéolée qui reste fraîche toute une journée. La « baguette tradition » garantit un travail manuel, l’absence de tout additif et de congélation.

 

La tourte au levain

issue d’une farine de blé (de préférence A.B.) et/ ou de seigle, le goût de levain, légèrement acidulé, persiste après la cuisson; la mie est légère et fraîche, due à la farine employée (Label Rouge si possible), broyée avec une meule de pierre.

 

Le pain complet

Cocktail énergétique, contient trois fois plus de fibres que le pain blanc. Recommandé aux cardiaques.

 

Le pain-fantaisie

Le pain quotidien, c’est bon, c’est nourrissant, mais monotone. La mode, capricieuse par nature, s’inspire parfois des usages de l’Antiquité: les Romains aromatisaient déjà leur pain avec la graine de pavot, de cumin, de fenouil ou avec du persil.

Le Guide Michelin change de patron

Le 26 octobre prochain, Alain Cuq, actuel directeur de Via Michelin, devrait être nommé à la tête du service des cartes et guides de l’entreprise clermontoise. Cette nomination intervient alors que le départ de Jean Luc Naret, directeur général des guides Michelin, vient d’être confirmé. Via Michelin, filiale du groupe,  est en quelque sorte le volet internet des guides rouge et vert, avec ses itinéraires, ses conseils pour la visite des sites et des bonnes tables.

Pourtant, Via Michelin s’est surtout signalé ces dernières années, par un échec retentissant avec l’abandon de la fabrication d’un GPS qui était censé orienter les automobilistes et leur signaler les bonnes adresses. La nomination du responsable de cette filiale à un poste à la direction du service des cartes et guides signifie qu’un rapprochement stratégique est engagé entre les deux entités sans pour autant signifier le remplacement de Jean-Luc Naret par Alain Cuq.

Le départ de Jean-Luc Naret sera effectif le 31 décembre 2010. Il conservera toutefois un rôle de conseiller jusqu’à la nomination de son successeur, ce qui tendrait à prouver que sa sortie, plusieurs fois annoncée, n’avait pas été spécialement programmée à cette date. Il devrait,  sans doute ultérieurement (du moins est-ce souhaitable pour éviter les conflits d’intérêt) animer un cabinet de conseil en hôtellerie et restauration

C’est en juillet 2004 que Jean Luc Naret, qui avait jusque là fait carrière dans l’hôtellerie, avait pris ses fonctions à la tête des guides rouges. Il succédait à Derek Brown, un Anglais entré chez Michelin en 1971, nommé en janvier 2001. Le mandat de ce dernier fut quelque peu chahuté par une série d’évènements, les uns tragiques – comme la mort de Bernard Loiseau en 2003 – les autres cocasses, comme la publication en janvier 2004 de « L’inspecteur se met à table » de Pascal Henry, ancien inspecteur du guide, qui donna lieu à une surenchère de la communication du groupe, avec achat d’espace dans la presse, comme si  l’honneur de Bibendum était atteint. C’est d’ailleurs ce qui entraîna finalement le départ sanction de Derek Brown l’été suivant.

Avec Jean-Luc Naret, changement de style et communication tous azimuts à l’international pour lancer les nouvelles éditions du Michelin (Etats-Unis et Japon).

Les épisodes cocasses n’ont pas manqué sous sa direction, telle l’attribution d’un « bib » gourmand à une table de la côte belge qui n’était pas encore ouverte au moment de la parution du guide. Autre temps fort : la contestation par Alain Senderens du rôle des étoiles dans la haute restauration qui avait contraint Edouard Michelin, pour la première fois, à s’expliquer devant la presse gastronomique.

L’essentiel du bilan de Jean-Luc Naret, qui reste à établir, est la création de nouveaux guides, New York et  surtout Tokyo, qui traduit une étroite synergie entre les guides et la politique commerciale et marketing de Michelin en Asie.

Le temps est révolu où les patrons du Rouge – André Trichot (de 1950 à 1968) et Bernard Naegellen (de 1968 à 2000), faisaient carrière dans l’entreprise.  A cette époque,   le Michelin, c’était la conscience subliminale des Français. Il ressemblait de loin à une société secrète, avec inspecteurs en nombre, correspondants locaux anonymes, directeur énigmatique. Les mânes de Curnonsky et de Mélanie Rouat ont veillé longtemps sur le Guide rouge parce que ses vieux schémas demeuraient ceux d’une civilisation. Tourisme, gastronomie et culture étaient le jeu du Michelin. Mais en période de crise et de mutation, le discours gastronomique, déprimé ou accusateur, a laissé – faute d’une déontologie affichée – le marketing et la communication envahir le champ culinaire.

A table avec Claude Chabrol

 

Silence on bouffe !

Article publié le 05 Août 2005
Par Jean-Claude Ribaut
Source : LE MONDE

A table avec le cinéaste Claude Chabrol pour quelques confidences entre les cailles rôties et la pintade en vessie

Pour tout autre que Claude Chabrol, cette injonction – qui n’est pas le titre de son prochain film – paraîtrait dépréciative. Mais pour ce cinéaste gourmand qui choisit, dit-on, ses lieux de tournage le Michelin à la main, c’est seulement une invite à « passer aux choses sérieuses », c’est-à-dire à table. Où donc déjeuner avec ce monstre sacré à l’humour fracassant, entre deux tournages de son prochain film consacré au monde judiciaire, sans autre ambition que de partager les plaisirs de la chère et de la conversation ? Chez Michel Rostang pour deux raisons : ce cuisinier fait aujourd’hui figure de classique, un peu à la manière de Chabrol, mais aussi parce qu’il fut enrôlé comme jeune cuistot dans l’équipe de tournage de la Décade prodigieuse (1971), un film tourné avec Orson Welles, dont Claude Chabrol se souvient avec déférence : « Au restaurant, le Beau Site à Ottrot, il commandait à lui seul deux côtes de bœuf pour deux personnes. Il avait un appétit d’ogre !»

Après les amuses bouche, les cailles rôties sur un gratin dauphinois – en entrée excusez du peu ! – montrent que le chef a pris la mesure de son hôte, pourfendeur des mœurs de la bourgeoisie, mais pas de sa cuisine.

C’est le moment des premières confidences. Les parents de Claude Chabrol, qui tenaient une pharmacie à Paris, ont subi peu avant la naissance de leur fils un empoisonnement qui laissa la Faculté perplexe sur l’avenir du nouveau né. Allergique au sein maternel, comme à tout produit laitier, anémié, on lui donna « du sang de bœuf dans le biberon » (sic), pour compenser les diverses carences. Nourri aux premiers temps comme le Minotaure, Claude Chabrol confesse « n’avoir pu avaler un verre de vin ou un morceau de fromage avant l’âge de seize ans. » Sa mère n’entendait rien à la cuisine, la bonne non plus. Deux fois par an, la famille se rendait chez Anastasie, cuisinière hors pair, inventive, qui fascinait le jeune Claude. Son premier souvenir gastronomique, aussi précis qu’insolite, est une « poêlée d’écrevisses sautés à l’huile d’olive. » Bien avant la Nouvelle vague le jeune homme fut donc initié aux prémices de la Nouvelle cuisine ! La Creuse, pays natal de sa famille, où il passe une grande partie de son enfance, ne laissa à Claude Chabrol (né en 1930) aucune grande émotion gourmande. La période ne s’y prêtait guère, même si pendant l’Occupation « l’on n’y manquait de rien.»

Avec le Beau Serge (février 1959), Claude Chabrol qui n’a pas trente ans, rejoint la Nouvelle Vague de François Truffaut, Louis Malle et Jean-Luc Godard, et crée le film d’auteur. Le Beau Serge stigmatise les méfaits de l’alcoolisme. Claude Chabrol gardera pourtant toute son amitié à Maurice Ronet qui déclarait à une époque où l’on soupçonnait le monde du cinéma de ne pas limiter sa consommation de stupéfiant au tabac : « On ne lève pas sa seringue à la santé d’un ami ! » Le succès de ce cinéma créateur résistera pendant une dizaine d’années à la concurrence de la télévision. C’est aussi malgré lui, le cinéma du Gaullisme, au temps de Malraux et de Brigitte Bardot. Si Claude Chabrol n’a jamais songé à consacrer un film à l’art culinaire, la plupart de ses oeuvres, comme Poulet au vinaigre, recèlent des scènes ou la table est l’exutoire des fantaisies  ou des sentiments de ses personnages.

La pintade en vessie, précédée d’un exquis fumet, est bientôt présentée sur le guéridon par le queux en personne. La pintade entière, farcie d’un peu de foie gras et de foie de volaille a été placée dans une vessie de porc avec du vin blanc, du porto et du madère, scellée, puis mise à cuire dans un bouillon frémissant pendant un peu plus d’une heure. Ce bouillon sera utilisé comme un minestrone, servi à part, avec une garniture de petits légumes et un salpicon des hauts de cuisse de la volaille, tandis que le jus contenu dans la poche sera lié au foie gras, mêlé à un sabayon et émulsionné à la minute pour accompagner les suprêmes. Sublime préparation ! Claude Chabrol ne perd pas un geste du manège et bientôt ronronne de bonheur. Il évoque fort à propos le souvenir du grand Jacques Manière, dont il fut l’ami. La Grande Bouffe ? Il n’a pas aimé. Il adapterait volontiers à ce film le mot de Roger Nimier à propos de Swift: (Instructions aux domestiques). : « La littérature anglaise est accrochée au plafond comme un jambon tranquille, mais les jambons sont plus inquiets qu’il ne semble. » Le Festin de Babette ? Esthétisant : « la caille en sarcophage est un plat infaisable ».

 

Claude Chabrol a fait une cinquantaine de films populaires qui flattent le goût du public, bien que secrètement lié à l’école formaliste de Lang, et de Hitchcock. Il se présente d’abord en auteur sarcastique, comme son acteur préféré Jean Poiret, gourmand et gourmet, à qui il fera créer  tardivement un personnage épatant , l’Inspecteur Lavardin, dans « Poulet au Vinaigre ».  Depuis Les Cousins (1959),son premier film à succès, on le dit danseur d’arabesques autour du vide. Dans Landru(1963), il crayonne à grands traits un portrait succulent  d’un personnage que nul ne peut se vanter d’avoir compris. Un petit bourgeois de la Première guerre, courtois, chez qui la réalité des hécatombes  aurait altéré le sens moral et qui devient un ogre. Chabrol dans tout son oeuvre déploie une esthétique de la dérision, une mise à distance avec les Folies Bourgeoises (1976),  dont il est lui-même un des représentants. Une mise à distance aussi avec l’Histoire contemporaine, sans doute une vertu qu’il partage avec Truffaut, dans une époque aussi politisée que celle des lendemains de la Guerre d’Algérie.  Le procès de Landru eut lieu à Versailles au temps du Traité de Versailles. Mandel et Clemenceau (joué à l’écran par Raymond Queneau!) donnent aux procès un écho singulier, dans la presse du temps, pour détourner l’attention publique du fameux Traité. « Je meurs l’âme innocente et tranquille » dit Landru. L’on entend en coulisse le grand rire pataphysique de Claude Chabrol, cinéaste gourmand et pacifiste. L’on mange beaucoup dans ses films, mais d’une manière indiscernable ou conventionnelle. Claude Chabrol est un faux ogre et un vrai moraliste de la table.

Jean-Claude Ribaut