Cet ancien Bouchon de François Clerc, repris sous l’enseigne éphémère de Toustem par Hélène Darroze, vient d’entrer dans l’univers manga sous le nom de Sola (le ciel en japonais), au numéro 12 de l’ancienne rue des rats. C’est un élégant restaurant de plain-pied avec poutres apparentes et sous-sol voûté que le jeune Youlin Ly, Français d’origine asiatique et méditerranéenne, vient d’ouvrir avec le chef japonais Hiroki Yoshitake, un ancien de l’Astrance. Elégant et spartiate, sans fioriture excessive ni débauche de couleur, l’esprit zen de la cuisine se chargeant de provoquer l’illumination intérieure. Précisons que la disposition des lieux, assez classique au rez-de-chaussée, s’inscrit à l’étage inférieur, dans un décaissement où les tables basses impliquent d’enlever ses chaussures et une position assise assez singulière. On l’aura compris, nous sommes ici dans un établissement dédié à la fusion des cultures et des goûts entre la France et le Japon.
Pas de menu, le choix est restreint – selon l’inspiration du chef – entre une petite dégustation (45 € le soir) et une grande dégustation (60 €). Au déjeuner, les prix sont respectivement 35 € et 50 €. C’est la nouvelle tendance des restaurants branchés que de proposer ainsi des menus surprise, sans ce soucier de la législation. Il est vrai l’exemple vient de haut depuis que l’Astrance (trois étoiles Michelin) à inauguré cette formule dont on peut espérer qu’elle restreint l’usage des frigos ! La « petite dégustation » du dîner du 16 mars proposait en premier lieu une fusion de légumes verts, petits pois, fèves, asperges, œuf poché assaisonnée d’une émulsion de petits pois, feuilles de capucines et pommes au soja, soit une entrée lisible, bien distribuée dans l’assiette, savoureuse. A suivre, la seconde entrée d’encornets, calamar, et champignons (iringi et de Paris) servis sur une duxelles m’a paru associer les textures à la recherche d’une harmonie des couleurs, à l’art de la découpe et au choix de la vaisselle (voir photo). Comme “ikebana”, l’art floral, cette cuisine suppose la construction d’une forme sensible, adaptée aux mets. Quant aux goûts – c’est l’esprit même de la fusion – ils restent assez proches de ceux auxquels nous ont habitués les tables asiatiques. Le plat principal, ce soir là, était composé d’un tronçon de bar de pêche à la sauce moromi (puissante fermentation de graines de soja, farine de froment, moisissure de champignon filamenteux, sel et eau), et de légumes sautés nature, tandis que celui servi à mon hôte était composé d’un filet mignon de jambon espagnol, jus corsé et purée de chou fleur. Etrange dessert pour conclure d’un chocolat au camembert, dans lequel je n’ai pas perçu si l’intention était un hommage à la Normandie ou un gag pour intellectuel.
L’ordre de la cuisine japonaise est ténu. C’est le monde de la miniature, le grain de poivre minimal du souvenir. La cuisine japonaise est – elle une cuisine des terroirs? C’est plutôt une cuisine des usages, où le geste précis signifie un mode d’être, et induit une esthétique. Celle du passage parmi les choses incertaines et “mouvantes”. Ne pas se gaver, découvrir le concentré, comme ces fleurs du cerisier qui s’envolent au vent du printemps aigre. On peut comparer cette esthétique empruntée avec la démarche des peintres Nabis qui s’étaient emparés des fameuses estampes japonaises, ces images du monde éphémère (Ukiyo-e).
Compter 109 € pour deux avec une bouteille de l’excellent Marsannay 2007 de Sylvain Pataille.
Sola. 12, rue de l’Hôtel Colbert. 75005- Paris. Tél. : 01-43-29-59-04. Fermé dimanche et lundi. Voiturier le soir. www.restaurant-sola.com