C’est à l’Hôtel Cheval Blanc, parangon de la sophistication et de la gastronomie réunies, déjà gratifié de deux étoiles au Michelin, que Yannick Alleno, le chef du Meurice (3 étoiles à Paris) vient de concevoir un nouveau modèle de restauration haut de gamme qui bouscule les codes. Le groupe Bernard Arnault (LVMH) n’a pas lésiné sur les moyens, le décor confié à Sybille de Margerie, le matériel dernier cri, et aussi un four à bois, pour créer, dixit Alleno, « le meilleur restaurant du monde ! » Il a fait le constat que la génération des chefs à laquelle il appartient, formée par les héritiers de la nouvelle cuisine ou bien soumise, pour quelques uns, à des influences allogènes, devait créer ses propres repères et délimiter son territoire. « La cuisine ne se borne pas à l’emploi des ingrédients à la mode, résume t’il, hier le poivre vert et les baies roses, aujourd’hui le cumbawa, le yuzu et les algues. » La modernité ne s’exprime pas plus dans une nouvelle disposition de la clientèle juchée sur des tabourets, sommée de considérer avec respect, en en musique, la brigade qui s’agite en silence devant elle. Il a donc repensé entièrement l’aménagement du « 1947 », comme un nouvel espace gourmand, une entité cohérente, inspirée certes des formes passées, mais totalement novatrice. « 1947 » est aussi le millésime du siècle dans ce fleuron qui est avec Pétrus, le vin de Bordeaux le plus célèbre de la rive droite. D’emblée la barre est donc fixée dans le très haut de gamme.
Ouvert depuis le 9 décembre 2011, le « 1947 » est accessible par un couloir dérobé dont l’ambiance tranche avec l’opulence du reste de l’hôtel, ses salons – Dior, Guerlain – son Spa et autres équipements prestigieux. Les matériaux sont nobles, mais discrets. On accède à la salle à manger – vingt couverts pas plus – distribués sur des tables rondes disposées sous des coupoles de corian immaculées et ouvragées, destinées à offrir une bonne correction acoustique. Ouvert sur la nature, cet espace de dégustation est contigu d’un vaste office, lui-même en relation directe avec une cuisine en longueur dont on ne voit que le petit côté. Alleno privilégie ainsi une sorte de lien organique et fusionnel entre la zone de préparation / cuisson – la cuisine - et la salle de dégustation, à la fois séparée et reliée par un vaste office, constitué d’un plan de travail circulaire servant aussi bien de guéridon pour la découpe que de desserte, et même de plateau pour le chef, au sens théâtral du mot. Astucieux et novateur. Une dizaine de cuisiniers s’affairent dans un espace laboratoire ouvert sur le vaste office. Les hôtes – on n’ose à ce niveau les qualifier de clients – ne sont qu’une vingtaine chaque soir admis à partager un menu (390 €) conçu comme une œuvre musicale, basée sur l’harmonie et le contrepoint, à l’instar des Variations Goldberg du Cantor de Leipzig, c’est-à-dire un raffinement de saveurs basé sur une technique culinaire contrapuntique. Autour du plat central – une pièce rare de turbot de 6 à 7 kg cuit au four à fois, ou bien un chou farci au foie gras de canard et truffes noires en garniture et encore un dos de chevreuil sauce poivrade, voire une poularde de Bresse au pot – la brigade propose d’abord deux services distincts de petits hors d’œuvre aux goûts tranchés, puis autant d’entrées aux saveurs délicates et nuancées. Ensuite, après la pièce unique, imposée, fromage choisi et nouvelle série de desserts gourmands ou rafraîchissants. Tout est envoyé à la demande avec un minimum de mise en place. Là est le véritable luxe de ce projet. Le pari de Yannick Alleno est le respect de la biodiversité et le choix exigeant de produits d’exception qui justifient également l’adition. Ainsi s’est-il assuré la totalité de la production de beurre de la Ferme du Ponclet, dont rares les vaches de race Froment-du-Léon en Bretagne, produisent un lait à 48 g/l de matières grasses, riche en carotène, unique, et un beurre, jaune bouton d’or, exceptionnel. « Il n’y a pas meilleur beurre français » s’enthousiasme le chef. “God’s in the details” disait l’architecte Ludwig Mies van der Rohe.
« 1947 » Cheval Blanc, Le Jardin Alpin – 73120 Courchevel. Tél. 04 79 00 50 50