Le Petit Vatel, restaurant ouvrier, cuisine bourgeoise

Le Petit Vatel, modeste bistrot, en arrière du Marché Saint Germain, vient de changer de mains. Créé en 1897, il aura survécu à deux guerres mondiales et, depuis 1997, résisté aux modes successives du régime crétois, de la fusion, du sushi et de la chimie à tout va, grâce à Sixte de Saint Hilaire, qui a livré son testament culinaire dans un livre de recettes, publié en 2007 chez Arléa. C’était un hommage à la cuisine bourgeoise à qui nous devons une bonne partie de l’art de vivre à la française. Les étrangers ne s’y trompaient pas qui venaient chercher dans cette institution bistrotière le vol au vent, les terrines ou le plat mijoté. La cuisine bourgeoise qui entendait d’abord « éviter la dépense et simplifier la méthode » est devenue celle du juste milieu depuis qu’elle se préoccupe aussi de notre plaisir et de notre santé. Certes beaucoup de malins et quelques coquins ne se privent pas  d’en dévoyer les principes à coup de produits industriels et d’arômes synthétiques. L’attrait du Petit Vatel, c’était une addition raisonnable et, parfois, des vins inattendus. En 2007, on pouvait encore se nourrir d’un plat à 5 € et d’un petit menu à 13 €.

Aujourd’hui, l’ardoise propose chaque jour des plats du marché. Et si les prix ont augmenté, la qualité des produits aussi s’est améliorée. Mais l’esprit d’antan demeure : on songe à un restaurant, dans les environs de Toulouse, dont l’enseigne mentionnait encore, dans les années 1960 : « Restaurant ouvrier, cuisine bourgeoise.» Certes, à Saint Germain des Prés aujourd’hui, les ouvriers sont rares, mais les petits boulots titulaires de CDD, petites mains chez les éditeurs du quartier, écrivains en quête d’éditeurs, intellos, musiciens et intermittents se retrouvent volontiers au Petit Vatel, au point de constituer une clientèle d’habitués. Les œufs mimosa, le feuilleté de boudin ou le tarama au prix de 6 €, côtoient le filet de hareng, la salade de foie de volailles, la soupe ou la salade de lentilles, au même prix. Seul, l’os à moelle (8 €), et le fois gras de canard (10 €) dépassent la limite. Parmi les plats du jour, le confit d’épaule d’agneau aux pruneaux ou le lapin en croûte de polenta, voisinent avec bœuf carottes, le pavé de viande de Salers poêlé et le chou farci, entre 15 € et 16 €.

On a pu dire que la cuisine bourgeoise, qui entendait concilier la dépense, le plaisir et la santé, était celle du juste milieu. Aux sauces fines de la cuisine opulente, elle préfère des préparations plus modestes jusqu’à cette recette du « gigot façon chevreuil », qui n’est autre qu’une marinade de viande d’agneau en lieu et place du gibier. Nous conservons l’héritage de cette cuisine, dans nos goûts, dans nos appréciations, dans nos appétits. Ainsi de la soupe aux lentilles, du potage commun de courges, du pot-au-feu, du haricot de mouton ou de la blanquette de veau. Des desserts de l’enfance, le Petit Vatel, nous offre un gâteau au cédrat confit, un fondant au chocolat ou des poires au vin. Tous facturés 6 €.

« La mémoire de Paris est notre seul bien » disait Stéphane  Mallarmé. Le Petit Vatel reste le trésor  commun des poètes et des écrivains, des gourmands aussi, lorsqu’ils font l’effort d’y dénicher une place C’est le Navire Night, disait Marguerite  Duras, qui s’avance à notre rencontre où l’on est sûr de trouver des habitués, compatissant sur les sort du monde,  en partageant, autour d’une cuisine de ménage, des vins « religionnaires », protégés de l’immense complot économique et libéral. Vins non sulfités, non filtrés, vins de raisin, sans pedigree !

Le Petit Vatel. 5, rue Lobineau. 75006 – Paris. Tél. 09 60 09 13 70. (sans réservation, ni carte de crédit). ‎

Régis Douysset, cuisinier méconnu de l’Escarbille à Meudon

Régis Douysset, cuisinier méconnu de l'Escarbille à Meudon

Le libellé de ce plat “charlotte de foie gras de canard et asperges, crumble de fruits secs” n’évoquait rien de particulier – aucun souvenir, aucune référence – lorsque j’ai eu l’occasion de le déguster récemment à l’Escarbille, ancien buffet de la gare de Meudon – Bellevue, à dix minutes par le train, depuis Montparnasse. L’asperge dite “en petit pois” citée par Alexandre Dumas, avec des morilles ou des truffes lorsque c’est encore la saison, sont familières des répertoires gourmands. Avec le foie gras, c’était pour moi une première. Et une révélation !La fine amertume du foie de canard, alliée à celle, plus ténue encore, de ce légume insolite de la famille des liliacées, rehaussée par le croquant discret d’un mélange de  fruits secs et de pâte émiettée, est un pur délice. L’asperge est connue depuis l’Antiquité. Ce légume délicieux du printemps, pousse à l’état sauvage, sur le pourtour méditerranéen, mais il a été apprivoisé par les botanistes du Nord de l’Europe au XVIIe siècle, l’âge d’or des jardins. Louis XIV en faisait son ordinaire, dans un temps où le péché majeur de la table était le peu de légumes qu’on y mangeait, et l’effet de carence induit. De nos jours, Francis Blanche estime que “l’asperge est le poireau du riche.” 

Mais dans la première moitié du  Grand Siècle déjà, le médecin anglais Nicholas Culpeper vantait les vertus médicinales de l’asperge, censée éliminer les calculs rénaux, calmer les maux de dents et favoriser le désir. Ses préparations sont donc nombreuses et les recettes multiples. A la maison, tièdes ou froides, on les accommode le plus souvent en vinaigrette, à la sauce mousseline, ou bien au citron et au parmesan comme en Italie, ou à la flamande, avec un beurre fondu citronné et un hachis d’œufs durs. Le philosophe Fontenelle (1657–1757) a laissé son nom à plusieurs recettes d’asperges au beurre fondu qu’il appréciait par-dessus tout. Il avait un jour invité à partager chez lui un cent d’asperges, son ami l’abbé Terrasson qui ne les appréciait qu’à l’huile et au vinaigre.

On décida de faire moitié au beurre, moitié à l’huile. Mais l’abbé fut subitement terrassé par une crise d’apoplexie. Fontenelle, sans perdre un instant, se précipita à l’office en criant : “Les asperges, toutes au beurre !” Il vécut centenaire avant de rejoindre la pluralité des mondes. Ce sont quelques unes des méditations auxquelles invitaient ce plat en attendant l’arrivée d’un second, tout aussi éblouissant, quoique plus classique : un “pigeon au sang, les cuisses confites et chou farci aux béatilles (crêtes, cœur et rognons de coq)”. Avec les asperges, le sommelier nous suggéra un blanc de Palette, terroir Langesse, la Badiane 2004, de Jean-Luc Poinqsot, aux notes d’agrumes soutenues par une forte minéralité, puis, sur le pigeon, un magnifique saint joseph rouge, 2008, de Stéphane Montez, du Domaine Monteillet, dans lequel la syrah,cépage unique se révèle d’une rare élégance.

L’auteur de ces deux merveilles est un cuisinier méconnu installé à Meudon depuis 2005, et aussi, plus récemment à Versailles dans un établissement secondaire. Nous l’avions rencontré, en 2001, à Grignan (Vaucluse). Régis Douysset, après une formation au lycée hôtelier de Thonon-les-Bains, a pris contact avec le métier en Allemagne, à Düsseldorf, auprès de Jean-Claude Bourgueil, trois macarons au Michelin. Puis il intègre la brigade de Michel Del Burgo au Bristol. La rigueur, il l’apprend outre-Rhin, “dans une région où les goûts raffinés sont rares”. La passion lui vient de son passage dans le palace parisien. Rigueur et passion, deux qualités qui préoccupaient déjà Mme de Sévigné, habituée de Grignan. Gourmande, il lui arrivait parfois de souper simplement : “Je mange fort bien, ma chère bonne (…). Les soirs, une petite poularde, le matin un bon potage.” En hommage à Mme de Sévigné, Régis Douysset avait imaginé alors la “poulette de ferme cuite au pot, avec légumes (navets-fane, céleri-rave, choux, carottes fane), foie gras et truffe”.

Le cuisinier d’aujourd’hui raconte peu ; son art tend vers l’épure, mais la précision du détail – en l’occurrence un trait d’émulsion d’ail des ours associé à la chair de tourteau et une fine purée d’artichaut – compte autant pour lui que la vision de l’ensemble. C’est l’un des beaux plats d’une carte exigeante et variée, sans concession obligée aux effets de mode. Son menu à 48 euros, un modèle du genre récompensé par une étoile Michelin, propose aussi une délicate selle d’agneau de lait, un homard au parfum de gingembre ; également un saint pierre rôti et un merluchon de ligne en croûte de noisette et ragoût de févettes à la sarriette. Parmi les desserts, peu sucrés, sablé aux framboise, émulsion de citron givré et fameux croquant au grué de cacao et glace café, sur lequel Annette Douysset suggère un rivesaltes solera du Domaine des schistes. Le service est à l’unisson, rigoureux et efficace. Les salons, au rez-de-chaussée et à l’étage, ont un discret parfum provincial.

Menu : 48 euros (entrée – plat) desserts : 8 euros – Carte blanche (cinq plats) : 61 euros.

L’ESCARBILLE. 8, RUE DE VÉLIZY   92100 MEUDON     Tel.: 01 45 34 12 03 Fermé dimanche et lundi.

La cuisson “à froid du saumon” par Guy Savoy

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L’un des nouveaux plats de la carte de printemps du restaurant Guy Savoy (trois étoiles au guide Michelin) illustre la démarche singulière de ce cuisinier en mouvement perpétuel. Il s’agit du « filet de saumon figé sur glace, consommé brûlant, perles de citron », préparé sur un guéridon devant chaque convive. Le filet de saumon d’Ecosse label rouge est disposé sur un bloc de glace carbonique (appelée aussi glace sèche) protégé par un film étanche. Une ou deux minutes suffisent à « saisir » le poisson, non par l’action de la chaleur, mais par celle du froid (- 80 degrés). Sa texture, en surface, se trouve modifiée de telle sorte que l’on peut avancer qu’il s’agit d’une cuisson par le froid. Dans l’assiette creuse ont été placées deux tiges, douces, juteuses et croquantes d’un chou chinois qui ressemble au céleri ou à la bette à carde. Ses feuilles nervurées, d’un vert foncé, ont un goût plus fin que celui du chou pommé. Le filet de saumon est disposé sur l’assiette, le consommé brûlant est réparti assez largement, tandis qu’un ultime assaisonnement de perles de citron apporte la fine acidité de la citronnelle. Le chaud et le froid appliqués quasi simultanément, modifient sensiblement la texture de la chair du poisson et lui donnent une dimension inconnue jusque là des cuissons classiques, à la plancha, ou à l’unilatéral. Depuis la fameuse escalope de saumon à l’oseille de Jean et Pierre Troisgros – auprès de qui Guy Savoy a fait son apprentissage à la fin des années 1960 – aucune des préparations de ce poisson ne m’ont convaincu de leur supériorité.  Et certainement pas la recette japonaise du sashimi qui est un art de la découpe appliqué à un poisson cru. La recette nouvelle de Guy Savoy mérite de faire date et incite aussi à la réflexion.

 

En effet, s’il devait pour brosser le cadre d’un nouveau chapitre de la Comédie Humaine et observer les mœurs de table de notre temps, c’est chez Guy Savoy, aujourd’hui, que Balzac prendrait pension. Et s’il entendait disserter sur l’art du cuisinier, s’attacher à la description des usages nouveaux, des produits d’origines diverses, il dresserait inévitablement le constat que la cuisine, certes, est bâtie sur ce qui subsiste, mais aussi qu’elle évolue, sans quoi il n’est pas de continuité de la substance culinaire, ni d’art. C’est un peu, en comparaison, le destin de la langue française, qui s’enrichit, s’amende  et se modifie.

 

La cuisine de Guy Savoy habituellement sensuelle, équilibrée et joviale, s’enrichit au fil des années, de plats d’une vigoureuse originalité. Hier, c’était la gelée de tomates au basilic, lisette et rouget marinés, granité aux algues, le saint pierre en panure d’herbes ou encore l’aiguillette et foie gras de canard sautés accompagnés de pousses d’épinards, d’un croustillant poivré au chocolat et d’un jus au mélange de vinaigres. Un registre de saveurs où l’acidité bien tempérée permettait de jouer avec des plats d’une inspiration toujours maîtrisée.  Aujourd’hui, les huîtres sont l’objet de trois différentes préparations : huîtres posées sur une purée d’huîtres servies avec l’eau de mer en gelée ; huîtres accompagnées de légumes (carottes) en vinaigrette d’huîtres ; huîtres tièdes servies sur une Royale d’oignons doux, bouillon d’huîtres et algues au vinaigre de Xérès, riz croustillant. 

Autre nouveauté cette saison, le « roulé » d’encornets et asperges vertes, se présente comme une déclinaison d’asperges vertes « crues et cuites » avec des encornets façon risotto à la purée d’asperges, « copeaux » de poutargue et croustillants d’asperges. Il serait injuste d’oublier, dans cette brève évocation, la soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes, qui est l’un des mets vedette de l’établissement.

 

Guy Savoy insiste beaucoup sur la provenance du produit et l’excellence de ses fournisseurs. Pour prouver quoi ? Le prix qu’il demande ? On sait que l’essentiel des charges d’un restaurant vient de la transformation et du service, non du produit. Il s’agit pour lui de marquer une continuité, une tradition qui reste certes la liaison fine des goûts ; une maîtrise réduite à une si fragile apparence qu’elle fait douter le profane ou le contestataire. C’est un travail dont les traits ” invisibles “ marquent inexorablement la distance avec le  n’importe quoi, l’étrange, l’ailleurs ou les goûts brouillés des plats à la mode, du prêt-à-manger, du surgelé, du sous-vide, où rien n’est reconnaissable, ni texture, ni fraîcheur, ni saveurs ! Tout au contraire, la cuisine de Guy Savoy est une exception déroutante. A force d’être incongrue, elle devient un style, où chaque élément pris en soi atteint une perfection de texture, de cuisson et de saveur. Reste le prix d’une telle cuisine qui n’est pas indifférent, même pour un tel plaisir. Guy Savoy en est conscient, qui propose aux internautes uniquement une « table réservée chaque jour au déjeuner pour ceux qui souhaitent découvrir ou redécouvrir un restaurant gastronomique…mais qui hésitent. Nous leur ouvrons l’ensemble de notre carte pour y choisir une entrée, un plat et un dessert pour la somme unique de 110 euros. Notre sommelier leur proposera un vin au verre à partir de 10 euros. » Seule contrainte : arrivée souhaitée à 12 h.

 

Restaurant Guy Savoy. 18, rue Troyon.75017 – Paris. Tél. 01-43-80-40-61. www.guysavoy.com  Fermé samedi midi, dimanche et lundi. Voiturier.  

La terrasse protégée du Coq de la Maison Blanche

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Avec les beaux jours, une balade au Puces de Saint-Ouen, ou bien un match au Stade de France, et voilà l’occasion d’un dépaysement hors barrière en Seine Saint Denis. L’étape obligée est alors le Coq de la Maison Blanche une brasserie à l’ancienne, avec une terrasse protégée (notre photo), un décor années 50,  où figurent les incontournables, le persillé – aussi bon qu’en Bourgogne, fondant et moelleux, un régal ! – le vrai coq au vin à la campagnarde aux nouilles fraîches, la selle d’agneau à l’ail en chemise ou encore l’aïoli aux petits légumes ou la raie aux câpres beurre noisette. Une recette aujourd’hui presque disparue. Mais la grande affaire, c’est la tête de veau, cuite entière, ce qui assure un moelleux et un goût incomparables. Elle est habituellement servie avec une sauce gribiche ou une vinaigrette, et parfois – suprême délice en hiver – en sauce tortue. Que l’on se rassure, il n’y a pas de chair de tortue (animal protégé) dans ce plat. La dite sauce est une infusion de fonds de veau ou de volaille et d’herbes aromatiques ( sauge, marjolaine, romarin, basilic, thym, laurier,  et persil), à laquelle on ajoute la purée de tomate, le madère et une pointe de Cayenne. La garniture de ce plat a été simplifiée qui comprenait autrefois olives ou petits cornichons tournés, quenelles de ris de veau, œufs frits, cervelle et langue, quelques écrevisses – pattes rouges – pour le décor, et julienne de truffes. La bonne affaire est un menu à 29 euros, servi midi et soir, qui, outre les plats évoqués ci-dessus (coq au vin, tête de veau, raie au câpres) et un jambonneau demi-sel, lard et haricots blancs, donne le choix entre quatre entrées, dont une délicate salade de ris de veau en cévenole, une terrine de campagne ou bien un velouté froid d’asperges blanches aux pointes crues et cuites. Parmi les desserts, la délicieuse glace à la vanille et le non moins gourmand Malakoff aux pralines, le disputent à la gauffre chantilly. La cave, domaine de prédilection d’Alain François, le patron, s’honore des bourgognes (Savigny, Pernand Vergelesses) de la maison Chandon de Briailles, des vins de Didier Dagueneau et d’une collection remarquable de Coche Dury. Une référence. Pour l’ordinaire, le chiroubles de Cheysson fera l’affaire.  Dans le diocèse de Saint Denis, il n’est pas sur les clochers de meilleur coq que celui de cette Maison Blanche. Georges Marchais, qui fêta son départ de la vie politique au Coq, écrivit sur le livre d’or : « Dommage que la maison ne se soit pas appelée le Coq de la Maison Rouge ! » Une visite à Saint Ouen, est aussi l’occasion de prendre la mesure de l’évolution du Nord de Paris, car le département de Seine Saint-Denis est une entité en soi. Une image de la banlieue parisienne. Passé le carrefour Pleyel, il faut y être né pour se diriger aisément. Aujourd’hui, les friches industrielles jouxtant de grands ensembles H.L.M., à la population bigarrée, sont en régression. C’est un monde  où cohabitent usines désaffectées et nouvelles industries, échangeurs routiers et  parcs paysagers bordés de “barres” locatives et d’immeubles de bureau flambants neuf. Un paysage qui a sa poésie âpre, et où vit plus d’un million d’habitants. L.F. Céline racontait autrefois la banlieue à sa façon : « L’avenue avant chez la Tante, c’était plein de marrons…Plus loin que la route, c’est les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne…plus loin encore, c’est les paysages inconnus…la Chine…Et puis rien du tout ». Le hors barrière gastronomique, déjà, avait fasciné Curnonsky. Le mystère commençait à la Barrière de Clichy : « La bicoque de Madame Héronde dominait un terrain vague. Le clebs nous avait repérés…il gueulait tout ce qu’il pouvait. ». Nostalgie…

 

Menu : 29 €. A la carte, compter 45 €.

37, boulevard Jean Jaurès 93400 – Saint Ouen. Tél. : 01-40-11-01-23. Fermé le dimanche.

Viennoise de Colin du Nord signée Gilles Epié

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Sur la carte de printemps du Citrus Etoile, le plat vedette du chef Gilles Epié est une “viennoise truffée de colin du nord caramélisé et fleur de courgette farcie.” Le goût unique de ce poisson – texture à la fois fondante et ferme – n’est guèrecomparable qu’à celui de la légine des mers australes, un poisson rare que ce chef fut un des seuls à cuisiner en 2008. Aujourd’hui, le colin du nord est mis à mariner la nuit dans une mixture de miso et saké; il est rôti au four, ensuite, à la commande. Classiquement, la viennoise est composée d’un jaune d’oeuf écrasé, de persil plat ciselé, de mini dés de truffe, parsemés en surface au moment de l’envoi. Une fleur de courge farcie de vert de courgette, truffe et mozarella accompagne le poisson (voir photo). Une réussite de haut goût pour un prix raisonnable (32 €). Mais d’où vient cet étrange poisson, aussi délicat qu’un turbot et ferme comme une rascasse ?

Le meilleur poisson du monde pour un Japonais, à défaut du mythique fugu, c’est le méro. Au Chili, c’est la bacalao de profundidad ; en Amérique du sud et aux Etats-Unis, le patagonian toothfish, appelé aussi chilean seabass. Tiens, tiens, c’est aussi l’un des noms multiples de ce colin du nord, appelé aussi burrefish ou sablefish, black cod ou encore, de son nom le plus courant au Canada, morue charbonnière. Mais quel restaurateur oserait présenter sur sa carte une morue charbonnière ? Va donc pour colin du nord,  péché à la palangre, comme la légine, par 2000 m. de fond. Sa texture s’explique – comme tous les poissons des grandes profondeurs – par une forte teneur en huile, c’est-à-dire une aptitude aux cuissons à forte chaleur : four, grill… « C’est un poisson fabuleux, dit le chef, qui ouvre un champ nouveau de saveurs incroyables. »

Gilles Epié connaît bien ces raretés pélagiques qu’il servait à ses clients, il y a une quinzaine d’années, lorsqu’il était chef de l’Orangerie à Los Angeles. Sa recette préférée alors, était une cuisson à l’étouffée dans une feuille de bananier, avec pour seul assaisonnement un peu de gingembre râpé, un bâtonnet de citronnelle et une pointe de piment mexicain. Au Canada, car ce poisson fréquente aussi le Pacifique Nord, il est légèrement fumé, trempé dans du lait avant d’être cuit à la vapeur.

Entre autres délicatesses, la nouvelle carte de printemps du Citrus Etoile offre le choix entre une terrine de saumon d’Ecosse au raifort, pomme de terre au caviar; un bouquet de queues d’écrevisses au miel vinaigré et romarin et encore la chair de langoustines du Guilvinec marinée au citrus et au poivre la luna (Madagascar). Notons aussi le très délicat râble et côtes de lapin cuit rosé, risotto d’épeautre truffé, jus de la volaille et aussi la pomme de cœur de ris de veau Corrézien rôti, jardinière de légumes, un remarquable plat de saison. Parmi les nombreux desserts s’impose le soufflé au chocolat « grand cru  Ile de Java », glace vanille et chantilly. Ajoutons les trouvailles d’un sommelier perspicace, l’extrême efficacité du service dirigé par Elisabeth Epié, parfaite hôtesse, et la discrétion d’un décor contemporain sans maniérisme : c’est la recette d’un repas réussi dans un quartier où le pire, souvent, côtoie le meilleur.

Menu du midi : 49 €. Menu découverte (vin et café compris) : 69 €. A la carte, compter environ 80 €.

CITRUS ETOILE. 6, rue Arsène Houssaye. 75008 – Paris. Tél. : 01-42-89-15-51. www.citrusetoile.fr. Fermé samedi et dimanche. Voiturier

 

 

 

 

 

 

 






					

L’Assiette, que les nostalgiques des années Mitterrand appellent encore “Chez Lulu”

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Retour à l’Assiette que les nostalgiques des années Mitterrand continuent d’appeler « Chez Lulu. » La carte de printemps y annonce un plat d’asperges, morilles et foie gras poêlé, à un prix certes élevé (38 €), mais généreux et raffiné, comme un symbole de la cuisine bourgeoise. Investissement plus modeste pour le filet de maquereau en escabèche et tartine

de pain tomaté (10€), délicieux au demeurent, tandis que les classes moyennes feront le choix de rillettes de jarret de cochon confit et foie gras (16€). Quelques angoissés, voyant le retour des beaux jours, laissaient entrevoir récemment leurs craintes de ne plus trouver à Paris de quoi satisfaire en toutes saisons leur indéfectible attachement au cassoulet. Il est vrai que depuis la disparition de « A Souceyrac », mis à part Paul Chêne, rue Lauriston, ce fleuron de la cuisine du Sud-ouest est plutôt rare en été. Qu’ils soient rassurés, L’ Assiette, le propose en toutes saisons.

 

La reprise – en 2008 –  de L’Assiette de Lulu, alias Lucette Rousseau, ancienne vestale des fourneaux au temps de la gauche cassoulet, par le jeune David Rathgeber, 35 ans, natif de Clermont-Ferrand, venu de la Maison Ducasse, avait laissé dans l’inquiétude tous ceux qui, déjà au début des années 2000 , s’interrogeaient sur l’avenir de la cuisine bourgeoise. Qu’ils soient rassurés ! Un joli plat de saison pour deux personne, fondant, délicieux, est à la carte ces jours ci : l’épaule d’agneau de Lozère , pommes grenaille et lard paysan (55€). Et parmi les desserts de grand-mère, toujours le soufflé au chocolat, glace vanille (10€) et la crème caramel au beurre salé (9€). Décidément, la cuisine bourgeoise a de beaux jours devant elle !

 

Promue dans les années 1980 au firmament de la gauche cassoulet, l’Assiette de Lulu avait connu ensuite les vicissitudes de la cohabitation, puis la désaffection du Tout-Paris mitterrandien. Nous eûmes droit également à Lulu sur Canal+, le vendredi midi, dans l’ancienne formule de « La grande famille » : piment d’Espelette et béret basque vissé sur la tête pour vanter les plats de là-bas. Lulu était intarissable. Parfois elle engueulait ses clients. Elle laisse un recueil de ses bonnes recettes : Plats du jour de Lulu (Albin Michel, 1998, 19 euros).

La cuisine bourgeoise est apparue au début du 18ème siècle, d’abord comme une variation simplifiée de la table aristocratique avant que Menon, dans « La cuisinière bourgeoise » (1746) ne songe à s’adresser directement aux femmes qui entendent « éviter la dépense et simplifier la méthode ». Mais il faudra attendre le milieu du siècle suivant pour que les vertus de la table bourgeoise soient largement partagées. Les restaurants qui apparaissent avec l’Empire, la salle à manger qui devient une pièce à part entière, consacrent cette évolution des mœurs. Il faut certes se garder d’assimiler cuisine bourgeoise et cuisine régionaliste encouragée par une Troisième République attentive à susciter le sentiment républicain dans des provinces encore largement bonapartistes.  C’est sur ce même sentiment détourné que s’appuiera, entre les deux guerres, le mythe d’une renaissance des cuisines régionales annonciateur du projet culturel de Vichy. Charles Brun écrivain régionaliste nous dit dans la Psychologie de la table en 1928. : «  On ne mange vraiment que dans les provinces. La variété exquise de nos mets et de nos crus, où se traduit celle des tempéraments ethniques, la probité de l’aliment sain et local, les recettes savoureuses transmises avec religion, voilà pour chacune des régions françaises un trésor dont on ne soupçonnait pas la richesse incroyable. » La cuisine comme révélateur des mœurs et des passions de l’époque…

Comptez de 40 € à 60 €. Au déj. 23 €.

L’Assiette. 181, rue du Château. 75014 – Paris. Tél. : 01-43-22-64-86. Fermé lundi et mardi.

L’Aiguière “Vous souhaitez emporter votre bouteille ? Demandez-nous un bouchon.”

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Ces quelques mots, sur le menu du jour, en disent long sur l’état d’esprit de Jean-François Renard qui vient de reprendre l’établissement créé par Patrick Masbatin, dont le fleuron était une cave abondante et accessible. Eh bien, oui : pourquoi ne pas emporter sa bouteille à la maison comme un doggy-bag, a fortiori son magnum, si le vin est bon ? L’on songe évidemment à la fable « Le renard et les raisins » du bon La Fontaine : « Certain renard gascon, d’autres disent normand… ». Mais du renard, Jean-François ne revendique que l’habileté appuyée sur une solide expérience. Le décor néo-gustavien à été entièrement relooké, sans moyens considérables, par des aplats de couleurs vives aux notes florales, jusque sur la mezzanine et les salons de l’étage. La carte est courte, judicieuse, singulière. L’une des entrées est un macaron aux quatre épices, rouget barbet et fruit de la passion, alliance délicate entre la poudre d’amande meringuée, la sapidité du poisson corrigée par une note acidulée. Equilibre assez subtil. Classiquement, le foie gras de canard est accompagné d’un chutney de mangue, tandis les premières asperges sont soumises à l’accord inattendu de fraises au vinaigre balsamique. La raviole farcie aux dates, oignons et cumin, annonce la « cocotte du mois » (supplément : 6€), en l’occurrence un sauté d’agneau de lait de l’Aveyron présenté comme un tajine. Les dernières saint-jacques d’Erquy reçoivent quant à elles l’onction parfumée d’un peu de cacao et de chorizo, le cabillaud au sésame  est escorté par un espuma de poivron rouge et le pigeon, soutenu par une cassolette d’épeautre,.  cohabite avec les calamars. Les desserts, hors les sentiers battus, sont de la même veine : pulpe de rhubarbe et meringue croustillante, financier à la soupe de fruits rouges, ganache tendre, moelleux au basilic et madeleine tiède. Peu de mise en place, une recherche des saveurs justes malgré quelques juxtapositions acrobatiques (le macaron et le rouget) donnent toutefois la mesure des capacités de ce chef encore jeune et expérimenté, ancien associé du Carte Blanche de la rue Lamartine, qui a été pendant dix années (1990 – 2000) chef au Beauvilliers du regretté Edouard Carlier. Au milieu des fleurs, des collections de bouquets de mariée, de portraits d’enfants ou d’illustrations du Montmartre d’autrefois, le Beauvilliers était un reliquaire du raffinement et de l’art de vivre. La fête y était de rigueur et pas une des folles nuits de la Butte n’échappait au sacerdoce de Doudou, alias Edouard Carlier, auquel Mick, Michou, et Yvan, les amis de toujours, étaient associés au fil des années. Soirée « en blanc » pour fêter la nouvelle année, dîner tricolore le 14 juillet, Beauvilliers ne désemplissait pas. Edouard Carlier accueillait les bourgeois et les gentilshommes avec le même raffinement, le monde du spectacle, de la mode, des arts et de la politique. Jacques Chirac y célébra ses noces de rubis ! La carte, un peu désuète et charmante, proposait la quenelle de carpe et d’esturgeon au coulis de trois crustacés, le cul d’artichaut frais rempli de tourteau, les queues de langoustines sautées aux épices et encore la rognonnade de veau et les cervelles d’agneau. « La table est un théâtre » rappelait Edouard Carlier. La représentation était toujours précieuse, sans être ridicule : les interprètes comme le public savaient garder l’enthousiasme de la première. Souhaitons à Jean-François Renard de renouveler ici, en l’adaptant à notre époque, l’esprit léger de cette adresse d’antan.

 

Au déjeuner, formule Bento : quatre services, café inclus : 25 €. Déjeuner et dîner : 35 €. (avec fromage et vins : 58 €)

 

L’Aiguière. 37 Bis Rue Montreuil. 75011-Paris. Tél. : 01 43 72 42 32 – Fermé samedi midi et dimanche.

 

 

LE SENS UNIQUE, lieu de résistance à la pensée du même nom

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Une petite terrasse anonyme sur la rue de Ponthieu, quelques boiseries rustiques, une série de petites niches devant un comptoir à l’ancienne, pourraient planter le décor d’un de ces bistrots vieillissants, n’ayant pas encore choisi entre l’esprit lounge, façon Costes, et les lieux de la junk food qui, l’un comme l’autre, ont envahi les abords de ce qu’il est convenu d’appeler la plus belle avenue du monde, les Champs Elysées. La porte voisine, est celle du Pink Paradise, un des hauts lieux de la nuit parisienne. Bruno et Sophie, lui authentique enfant du Périgord, n’ont pas hésité longtemps avant de décider de donner à l’ancien bistrot tout ce qui manque ailleurs dans ce quartier : un esprit de convivialité et de chaleur humaine et dans l’assiette, des produits de la meilleure qualité apprêtés avec le plus grand soin. Bruno, qui tenait auparavant l’Urgence Bar, rue Monsieur-le-Prince, connaît le monde de la nuit. Au Sens Unique, même si Georges, le chef cuisinier, arrête ses feux vers 23 h.30, on peut se restaurer jusqu’à 2 h. du matin, avec les produits d’un cousin du Périgord qui élève des oies et fournit une fameuse galantine, des rillettes et un inimitable cou d’oie farci. Les charcuteries sont acheminées depuis la maison Boscus à Saint Cyprien, dans l’Aveyron. La cave est étoffée de quelques quilles bien choisies, servies à bonne température et à prix très raisonnables. La carte est appelée ici « itinéraire » pour donner un sens à l’enseigne, qui resterait sinon, un peu sibylline. Au deuxième verre, on pourrait certes se souvenir du mot de Pierre Dac : « Un sens interdit, n’est qu’un sens autorisé, mais pris à l’envers »…  Nous conseillons d’aller directement sur « les voies rapides froides » : œufs mayonnaise, foie gras maison, assiette de charcuterie aveyronnaise et périgourdine ; puis d’emprunter « les grands axes » : l’entrecôte de Salers, le tartare d’Aubrac, le rognon de veau entier, parfaitement saisi, servi avec des pommes de terre sautées à la graisse d’oie. Les viandes rassises pendant le temps règlementaire sont fournies par Hugo Desnoyers. Parmi les « aires de repos maison », c’est-à-dire les fromages (tous A.O.C.) et les desserts, on retiendra les crêpes, le fondant au chocolat et la tarte du jour, maison bien sur. Un conseil, pris d’assaut au déjeuner, le Sens Unique est des plus agréable le soir.

A la carte, compter de 25  € à 50 € environ

Le Sens Unique. 47, rue de Ponhieu. 75008 – Paris. Tél. : 01-43-59-76-77 ouvert du lundi au samedi de 10 h. à 2 h. du matin.

 

RESTAURANT PRUNIER “La beauté sera comestible ou ne sera pas”

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Le 21 mars, une vieille recette presque oubliée, a fait un retour discret sur la carte du restaurant Prunier. Il s’agit des fameux « pieds de mouton à la sauce poulette » lesquels, après être restés près d’un demi siècle au menu, avaient une première fois disparu, puis sont réapparu en 1995, lors de la réouverture de l’établissement avec le chef Gabriel Biscaye, après six années de fermeture. Eh quoi ! Quel sens cela a-t-il aujourd’hui de s’intéresser à un tel plat ? Aucun, sauf à avouer qu’il est notre petite madeleine. Marcel Proust d’ailleurs allait chez le Prunier de la rue Duphot (Paris 8è), ouvert en 1872, alors que l’enseigne de l’avenue Victor Hugo, créée par Simone, la petite fille du fondateur, à l’angle de la rue Traktir, n’a ouvert ses portes qu’en 1925, trois ans après la mort de Proust. Dès l’ouverture, cette recette figurait sur la carte de Michel Bouzy, le chef d’alors. Rien qu’à ce titre, l’initiative du chef actuel, Eric Coisel, mérite d’être saluée. Mais elle est concertée avec le retour d’autres grands plats du répertoire culinaire de l’entre deux guerres : la marmite dieppoise et la lamproie à la bordelaise. La première est une matelote de poissons, saint jacques, moules et petits légumes à la crème et au vin blanc (ou cidre) , héritage de la cuisine normande ; la seconde est aussi une matelote, mais à base de vin rouge brûlé, lié, tronçons de lamproie et poireaux. Un régal. Troisième plat du souvenir, le filet de bœuf Boston aux huîtres. La carte, aujourd’hui, offre bien d’autres curiosités, comme les harengs maatjes « Kronenhalle », et aussi les poissons nobles, un grand choix d’huîtres, coquillages et crustacés, et les caviars Prunier d’élevage français.

 

Prunier Traktir est une œuvre majeure des Arts Déco, due à l’architecte Louis Hippolyte Boileau (1878 – 1948), qui participa d’ailleurs à la grande exposition des Arts décoratifs de 1925. Illustration de la devise familiale « Tout ce qui vient de la mer», c’était la fois un espace de vente (huîtres, coquillages, crustacés, caviar) au rez de chaussée, le restaurant étant situé à l’étage. Aujourd’hui, la salle à manger de plain-pied, permet d’admirer la richesse des formes géométriques pures, ponctuées d’incrustations de losanges or sur fond de marbre noir.

 

Les restaurants de chaque génération, ne demeurent, pour la plupart, que par les gravures, les estampes et par le témoignage des oeuvres littéraires. Ils ont d’ailleurs, sauf exception pour le Procope, le Véfour, rarement plus de cent ans; car la plupart des lieux de sociabilité et de plaisir sont renouvelés environ tous les cinquante ans. La Maison Prunier a bien failli ne pas échapper au désastre, en 1989, lorsque intervint le classement parmi les monuments historiques. Jamais un tel lieu ne connut engouement si complet dans la haute bourgeoisie et dans le clan artiste des années 20.  Mauriac, dans ses carnets, évoque avec dévotion ses soupers. Cocteau y aiguisait ses paradoxes, Maurice Sachs et Jean Auric suivaient. Les Hugo se faisaient remarquer : Jean, le peintre, par un ramage choisi et Valentine par un plumage de faisane ; les Noailles, les La Rochefoucault y tenaient commerce d’esprit. Les temps ont changés, les intellectuels et les artistes se sont déplacés dans Paris. Prunier est un phénix, l’oiseau légendaire qui se nourrit de perles d’encens, se consume et doit renaître de ses cendres. C’est au chef inventif qui sait construire sa cuisine sur les cendres d’une époque, qu’il appartient d’assurer sa pérennité. La gastronomie est un art dont le spectacle intime reste caché. Salvador Dali écrit à la même époque celle de Prunier, du jazz-band et du Groupe des cinq : « La beauté sera comestible, ou ne sera pas. »

 

Menus : 45 € (déj.) – Menu Simone : 65 € – Asperges : 85 €.

 

Restaurant Prunier.16, avenue Victor Hugo. 75116. Téléphone : 01-44-17-35-85. Tous les jours. Voiturier

La Cantine de Gérard Depardieu

Gérard Depardieu vient à nouveau d’adapter pour lui-même le rôle de l’intendant du Prince de Condé, qu’il a incarné à l’écran. Mais François Vatel, revu par notre Gégé national, n’est plus le traiteur génial, le metteur en scène du sublime banquet qui devait lui être fatal en avril 1671 ; il s’est mué en un modeste amphitryon dans un local annexe de Chez Dumonet, rue du cherche midi, où il vient de créer sa cantine. Pour faire bon poids, il a aussi acheté la poissonnerie du quartier et passé contrat avec des pêcheurs. L’enseigne insolite évoque le souvenir de son père, ancien tolier-fondeur, compagnon du Tour de France au « sobriquet magnifique de Berry, le bien décidé ». Son bistrot – rôtisserie et cave à vins – s’appelle donc « Le Bien Décidé », en toute simplicité. C’est d’ailleurs ce qu’il recherche, comme dans son autre restaurant de la place Gaillon, ouvert depuis quelques années. Rien de compliqué, d’inutile ; peu de fioriture sur l’assiette, mais des goûts précis et des cuissons justes pour un unique menu journalier établi en fonction du marché : filet de hareng mariné servi avec des pommes de terre tièdes, ou bien terrine du chef maison, en l’occurrence bien assaisonnée et servie avec une salade et des cornichons. Le carré de porc fermier rôti est moelleux, accompagné d’une purée de pommes de terre tandis que le haddock est servi avec des carottes braisées. Les fromages sont apportés par la Mère Lainé. Deux ou trois desserts : quatre-quarts à la compotée de prunes rouges, mousse au chocolat. Avec les bouteilles de ses différentes propriétés viticoles, alignées sur un présentoir mural, le décor est planté,  simplement.

 

Ses copains le retrouvent parfois, comme au bon vieux temps, avec lesquels il « buvait des coups » il y a quelques années, lorsque sa devise était « Otes-toi de là que je m’humecte ! » Ce fut un de ses grands rôles à la ville. Au cinéma, ses prestations parmi la centaine de films de son impressionnante carrière ne lui furent pas d’un grand secours pour s’improviser restaurateur. Plusieurs scènes de « Préparez vos mouchoirs », un film drôle et grave de Bertrand Blier, avec Carole Laure et Patrick Dewaere, se déroulaient bien dans une brasserie, mais l’intrigue n’avait rien à voir avec la cuisine ; pas plus que « Deux », gentil navet mijoté par Claude Zidi, dans lequel Depardieu, à table, déclarait sa flamme à la jolie Marushka Detmers.

C’est grâce à Jean Carmet, qu’il devint vigneron au Château de Tigné : « J’aime le chenin pour sa franchise ; le 1989, ma première vendange, est aujourd’hui magnifique. » En effet, son acidité naturelle lui confère aujourd’hui une grâce qui lui fut longtemps refusée. Gérard Depardieu est catégorique, il déteste « le bois qui cache les défauts de la vigne. » Ce vin n’est-il pas un peu diurétique ? « C’est un vin de pisse », admet t’il dans un éclat de rire.

 

La fascination du travail de cuisine, plus que de la cuisine elle-même, anime l’inoubliable interprète de Cyrano. Il s’y consacre d’ailleurs régulièrement. « J’adore cuisiner le garenne, nous confiait-il lorsque il a ouvert la Fontaine Gaillon » Il est présent souvent, dans cette nouvelle adresse – sa cantine – car il suit de près les travaux d’aménagement d’un hôtel particulier qu’il aménage à deux pas. Il aime passer, tôt le matin, à l’heure où les fournisseurs apportent les produits : « j’ exige toujours le meilleur. » On trouvera tous ses vins : Référence, Si mon père savait, Le bien décidé (Aniane rouge) ainsi que les vins de Bernard Magrez : Pape Clément et la Tour Carnet. Chaque bouteille est à emporter à la moitié du prix annoncé sur la carte. Une aubaine ! « Je me contente de peu sur la Terre, confie t’il, et de beaucoup dans le verre. » On n’est pas obligé de l’imiter. Mais c’est le sens inattendu et rassurant que Gérard Depardieu entend donner à la nouvelle convivialité.

Le Bien Décidé. 117, rue du Cherche-Midi. 75006 – Paris. Tél. : 01-45-48-39-28. Ouvert midi et soir du lundi au vendredi. A la carte, compter 32 €

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