Second service du canard pékinois
Il faut absolument, au moins une fois dans la vie d’un gourmand, ou simplement d’un curieux, déguster un canard pékinois préparé selon la tradition. C’est un des grands plats de la cuisine mondiale et une véritable curiosité, en Chine même, puisqu’il s’agit selon toute vraisemblance, d’une recette d’origine Moghol. A Paris, la référence incontestable est le Canard « Mr. Chen » en trois services, du nom du cuisinier, disparu en 2003, qui avait mis au point la recette et le protocole d’exécution que sa veuve, Véronique Chen, respecte scrupuleusement depuis lors. Plumé, éviscéré, soigneusement épilé, le canard est soumis à une préparation traditionnelle. Le décollement de l’enveloppe du canard – la peau – s’effectue, après l’abattage, sous la double action d’une pompe à air dont l’embout est glissé sous l’épiderme du palmipède et d’un massage efficace du canardier. Semblable à un ballon de rugby, le canard est alors placé sur un hâtelet, cloué par le bec au moyen d’un porte aiguille. Ebouillanté à l’eau vinaigrée, il est badigeonné à plusieurs reprises d’un mélange de miel, de soja et d’alcool de riz. Suspendu dans un endroit ventilé, le canard est mis à sécher pendant vingt quatre heures. La cuisson interviendra, à la commande, dans une simple étuve qui, en vingt minutes, donnera une peau croustillante et parcheminée. Dans le même temps, la cuisine est affairée à la préparation d’une sauce caramélisée d’huile de sésame, de pâte de haricot, de soja, de sucre et d’eau. L’on prépare aussi les fines crêpes de riz et on cisèle la ciboule. Au restaurant Chen, c’est sous le regard vigilant de Madame Chen – et souvent de sa propre main – qu’intervient la découpe du canard en salle, sur un guéridon. La crêpe de riz, nappée de sauce, garnie de ciboule reçoit un rectangle de peau chaude et croustillante, qu’il convient – avec les baguettes – de rouler en forme de pannequet. Saveurs miellées, textures nuancées, ingrédients aux températures variées, c’est tout le savoir faire de l’art culinaire chinois au service du sublime volatile.
Le second service est consacré à la dégustation de la chair du canard sous trois formes distinctes ou parfois juxtaposées dans l’assiette :
- à la pékinoise, chair émincée, sautée au wok avec du gingembre frais, des herbes, sel et poivre ;
- en noisettes, servies avec un fond clair de canard et gingembre frais
- avec un fond de canard, aubergines confites et vinaigre de riz.
L’accompagnement est habituellement composé de nouilles de blé cuites à la vapeur, pointes de soja et parties vertes de la ciboule.
Le troisième service est un bouillon de canard dégraissé et parfumé destiné à conclure le repas.
Pendant les dix années passées à la tête de son établissement, le chef Chen a formé une équipe soudée et solidaire, en lui faisant partager son savoir. Il mettait en pratique la sage maxime de Confucius : « Quand vous plantez une graine une fois, vous obtenez une seule et unique récolte. Quand vous instruisez les gens, vous en obtenez cent. » L’équipe de cuisine que dirige aujourd’hui Véronique Chen, ainsi que son directeur, Jean Le Gloahec (qui fit l’ouverture du Maxim’s Pékin créé par Pierre Cardin en 1982) met un point d’honneur à sélectionner les produits toujours avec la même exigence et à suivre à la lettre la recette du maître Fung-Ching Chen.
Premier chinois étoilé au Michelin
En 1999, le Guide Michelin avait reconnu cet effort en accordant une première étoile. Elle fut conservée à l’établissement jusqu’en 2006, après la mort du chef Chen survenue en 2003. Et puis subitement, le restaurant disparut du guide.
L’année précédente, la démolition de la dalle Beaugrenelle dans le secteur du restaurant Chen avait commencé dans le bruit des pelleteuses, la noria des camions et des bétonnières le long des palissades envahissantes rendant son accès quasi impossible. Voilà l’unique raison à nos yeux, de la disparition de ce restaurant parmi les tables étoilées de la capitale, puis sa pure et simple suppression, alors même que le niveau de la cuisine était resté constant. Le guide Michelin, qui prétend n’accorder ses étoiles qu’en fonction de la qualité de l’assiette, était pris une nouvelle foi au piège de l’obscurité de ses critères. Après ces « années de béton », les travaux ayant cessé depuis un an, le restaurant Chen est à nouveau mentionné dans le Michelin, mais il n’a toujours pas retrouvé son étoile.
Au déjeuner : menu 40 € – Demi canard pékinois (pour 2 personnes) : 75 €.
CHEN – SOLEIL D’EST 15, rue du Théâtre 75015 – Paris. Tél. : 01 45 79 34 34 Ouvert au déjeuner et au dîner du lundi au samedi. Fermé samedi midi