TOP 50 : Exacerber le nationalisme culinaire

Le 8ème TOP 50 des meilleurs restaurants du monde, établi par Restaurant Magazine (UK), vient d’être publié. C’est en 2002 que les initiateurs de cette opération financée par plusieurs filiales de Nestlé, se sont appliqués à faire du Catalan Ferran Adria le héros d’une légende planétaire, l’année même où il décidait de fermer son restaurant au déjeuner pour n’accueillir qu’une soixantaine de couverts le soir pendant cinq mois par an, selon le principe de base du marketing : raréfier l’offre pour renforcer la demande. Feran Adria (El Bulli) était, bien entendu le numéro 1 de ce premier classement, suivi par le Britannique Heston Blumenthal (The Fat Duck) qui a du fermer son établissement pendant trois semaines en mars 2009 à la suite de diarrhées et vomissements constatés chez plusieurs centaines de ses clients.

Les années suivantes, jusqu’en 2006, le tiercé, dans l’ordre ou le désordre, se bornait à départager ces deux chefs avec l’Américain Thomas Keller, adepte des arômes de truffe blanche de synthèse dont il n’hésitait pas à badigeonner d’admirables saint jacques du Maine ( Per se à New York).

Depuis 2006, le Catalan a occupé chaque année la première place.

Or le voici détrôné en 2010 par un jeune chef Danois inconnu, à l’enseigne de Noma. Le voici condamné à n’être connu que pour sa notoriété !

Comment est organisé  ce classement ?

La méthode est la suivante : on demande à des groupes informels – copains, restaurateurs, folliculaires – de désigner cinq noms de chefs – les meilleurs selon eux – chez lesquels ils ont fait un repas dans l’année écoulée. Ainsi est constitué, de bric et de broc, un pseudo « jury mondial » de 800 personnes (chiffres 2009) qui dispose donc de 4 000 suffrages.

Comment avec de tels ingrédients, faire un Top 50 ?

Au pays de Sherlock Holmes, c’est élémentaire mon cher Watson !

Il suffira de ne publier ni la dispersion (nombre de chefs cités), ni les écarts (nombre réel de voix obtenues par chacun). Comme aucun n’institut de sondage ayant un minimum de déontologie, ni aucun huissier, ne sont invités à contrôler la sincérité du scrutin, il est clair que ce palmarès ne vise à satisfaire que les intérêts des industriels de l’alimentation, l’industrie chimique, les fabricants d’arômes synthétiques dont est friande la cuisine dite moléculaire, tous ingrédients commercialisés par El Bulli sous le nom de « Texturas.»

Il s’agit donc d’une grande supercherie. Accessoirement, on relèvera que le passage de El Bulli en seconde position intervient au moment où une action judiciaire est intentée par les ayants droit de l’un des anciens associés de Ferran Adria qu’ils accusent d’avoir spolié leur père, atteint d’une maladie bipolaire irréversible. De là à penser que toute la stratégie de « retrait » d’Adria, voire la prochaine transformation d’El Bulli en Fondation, serait une manière d’échapper aux éventuelles conséquences pénales prononcées la justice espagnole, il n’y a qu’un pas.
Pour le reste, ce classement est un tripatouillage parfaitement inconsistant.

Le 1er restaurant français est le Chateaubriand, un bistrot à la mode de l’Est parisien, devant Pierre Gagnaire (13è), l’Astrance (16è), L’Atelier de Joël Robuchon (29è), Ducasse au Plaza Athénée (41è) et la Maison Troisgros (46è).

 

Six restaurant français parmi les cinquante, quand quatre Espagnols figurent dans les dix premiers ! Il faut voir là, la main de Rafael Anson, patron d’un grand groupe de communication, principal artisan de toute l’affaire, ancien membre de cabinets ministériels lors de la transition franquiste et président de l’Académie gastronomique d’Espagne, un proche de Ferran Adria.  Arriba España !
Ce classement mondial imaginaire, dont sont quasiment absents les restaurants asiatiques, est sous tendu par l’idée qu’une cuisine planétaire est en train d’émerger sous l’égide de  l’industrie agroalimentaire. Or c’est exactement l’inverse que cherchent, à travers la protection de l’environnement et la biodiversité, les sociétés développées. Il ne reste de ce classement qu’une sinistre crispation  nationaliste, puisque l’accent est mis, non sur la typicité des cuisines ( Oh, Philippe Rochat, que venez vous faire en 14ème position de cette galère ?) mais sur les nations représentées.

http://www.theworlds50best.com/