Gérard Depardieu vient à nouveau d’adapter pour lui-même le rôle de l’intendant du Prince de Condé, qu’il a incarné à l’écran. Mais François Vatel, revu par notre Gégé national, n’est plus le traiteur génial, le metteur en scène du sublime banquet qui devait lui être fatal en avril 1671 ; il s’est mué en un modeste amphitryon dans un local annexe de Chez Dumonet, rue du cherche midi, où il vient de créer sa cantine. Pour faire bon poids, il a aussi acheté la poissonnerie du quartier et passé contrat avec des pêcheurs. L’enseigne insolite évoque le souvenir de son père, ancien tolier-fondeur, compagnon du Tour de France au « sobriquet magnifique de Berry, le bien décidé ». Son bistrot – rôtisserie et cave à vins – s’appelle donc « Le Bien Décidé », en toute simplicité. C’est d’ailleurs ce qu’il recherche, comme dans son autre restaurant de la place Gaillon, ouvert depuis quelques années. Rien de compliqué, d’inutile ; peu de fioriture sur l’assiette, mais des goûts précis et des cuissons justes pour un unique menu journalier établi en fonction du marché : filet de hareng mariné servi avec des pommes de terre tièdes, ou bien terrine du chef maison, en l’occurrence bien assaisonnée et servie avec une salade et des cornichons. Le carré de porc fermier rôti est moelleux, accompagné d’une purée de pommes de terre tandis que le haddock est servi avec des carottes braisées. Les fromages sont apportés par la Mère Lainé. Deux ou trois desserts : quatre-quarts à la compotée de prunes rouges, mousse au chocolat. Avec les bouteilles de ses différentes propriétés viticoles, alignées sur un présentoir mural, le décor est planté, simplement.
Ses copains le retrouvent parfois, comme au bon vieux temps, avec lesquels il « buvait des coups » il y a quelques années, lorsque sa devise était « Otes-toi de là que je m’humecte ! » Ce fut un de ses grands rôles à la ville. Au cinéma, ses prestations parmi la centaine de films de son impressionnante carrière ne lui furent pas d’un grand secours pour s’improviser restaurateur. Plusieurs scènes de « Préparez vos mouchoirs », un film drôle et grave de Bertrand Blier, avec Carole Laure et Patrick Dewaere, se déroulaient bien dans une brasserie, mais l’intrigue n’avait rien à voir avec la cuisine ; pas plus que « Deux », gentil navet mijoté par Claude Zidi, dans lequel Depardieu, à table, déclarait sa flamme à la jolie Marushka Detmers.
C’est grâce à Jean Carmet, qu’il devint vigneron au Château de Tigné : « J’aime le chenin pour sa franchise ; le 1989, ma première vendange, est aujourd’hui magnifique. » En effet, son acidité naturelle lui confère aujourd’hui une grâce qui lui fut longtemps refusée. Gérard Depardieu est catégorique, il déteste « le bois qui cache les défauts de la vigne. » Ce vin n’est-il pas un peu diurétique ? « C’est un vin de pisse », admet t’il dans un éclat de rire.
La fascination du travail de cuisine, plus que de la cuisine elle-même, anime l’inoubliable interprète de Cyrano. Il s’y consacre d’ailleurs régulièrement. « J’adore cuisiner le garenne, nous confiait-il lorsque il a ouvert la Fontaine Gaillon » Il est présent souvent, dans cette nouvelle adresse – sa cantine – car il suit de près les travaux d’aménagement d’un hôtel particulier qu’il aménage à deux pas. Il aime passer, tôt le matin, à l’heure où les fournisseurs apportent les produits : « j’ exige toujours le meilleur. » On trouvera tous ses vins : Référence, Si mon père savait, Le bien décidé (Aniane rouge) ainsi que les vins de Bernard Magrez : Pape Clément et la Tour Carnet. Chaque bouteille est à emporter à la moitié du prix annoncé sur la carte. Une aubaine ! « Je me contente de peu sur la Terre, confie t’il, et de beaucoup dans le verre. » On n’est pas obligé de l’imiter. Mais c’est le sens inattendu et rassurant que Gérard Depardieu entend donner à la nouvelle convivialité.
Le Bien Décidé. 117, rue du Cherche-Midi. 75006 – Paris. Tél. : 01-45-48-39-28. Ouvert midi et soir du lundi au vendredi. A la carte, compter 32 €