VIN CHAI MOI, j’ai de bonnes bouteilles

Bien manger certes, c’est le souci de chacun, mais où, avec qui, autour d’une table au menu choisi ? Cela n’est pas si facile aujourd’hui dans Paris  qui fut la capitale de l’Europe civilisée des Lumières, puis celle du XIX° siècle et où se fit, au siècle passé, l’invention de la haute cuisine française. Les restaurants: élargissent l’espace de la ville. Leur nombre semble une infinité d’étoiles sur la voûte céleste. Les Parisiens, n’ont de cesse d’y courir, de l’un à l’autre et de quartiers à quartiers.  Le restaurant est le bon prétexte de changer de ville dans la ville, de pérégriner de quartiers à quartiers, pour trouver à la fois une bouffée de vie que le centre réifié souvent refuse, une société qui sait elle-même se coopter, une table aimable et familière ou bien les jours d’orgueil quelque maison grandiose. On laisse le temps de  s’y prélasser, les rêveries ou les conversations s’établir.

Le mauvais restaurant est paradoxalement la “machine à succès” , qui voit en une soirée passer plusieurs régiments de clients, groupés par services, régulièrement relevés et incités au départ par l’arrivée d’une addition que l’on n’a pas demandé. Combien de restaurants à la mode ne sont que cela, des endroits de presse, étrangers au plaisir de la vie ?

Ce n’est pas ainsi que Luc et Delphine Ménier conçoivent leur métier. Le voudraient-il, d’ailleurs, que l’espace atypique – sur trois niveaux desservis par un escalier à vis – ne s’y prêterait guère. Cette contrainte, ils l’ont réglée autrement, en vrais professionnels. Le sous-sol, voûté en pierres apparentes, est dévolu aux soirées de dégustation, et repas entre amis autour de quelques bouteilles. A rez-de-chaussée, trois ou quatre tables pour caler une petite faim, alternative aux sandouicheries et autres néfastes food, à profusion dans le quartier. Pour le reste, c’est à l’étage que ça se passe dans plusieurs salons successifs, isolés sans nuire à la convivialité. La grande affaire, ici, ce sont les vins, des simples bouteilles de vignerons passionnés aux grands crus de garde, vendus à des prix extrêmement raisonnables.  C’est en voyant la carte des vins, et les vestiges de quelques flacons prestigieux dans les vitrines, que l’on saisit le sens caché de l’enseigne (vin / chai / moi) au delà de l’allusion au film boulevardier de Patrice Leconte.

Le chef, Fabrice Mangin, n’est pas un débutant, qui à connu les brigades  de Jacques Sénéchal aux Célébrités et de Henri Charvet au Comte de Gascogne à Boulogne. De lui aussi, on peut dire qu’il a de la bouteille ! Cuisine saisonnière, comme il se doit, dont le sommet (voir photo) est un millefeuille de sardines fraîches et concassé de tomates, mordant de fraîcheur et d’une douce acidité. Sinon, foie gras de canard des plus classiques, fin et onctueux. Parmi les poissons, relevons un filet de bar au fenouil et pignon, ou bien une sole meunière à l’estragon (herbes délicieuse longtemps oubliée par les fanatiques du wasabi). Seule incongruité, l’huile de truffe dont se passerait volontiers le velouté glacé de langoustine. En revanche, la côte de veau poêlée minute aux haricots verts et pois gourmand, jus corsé et surtout la côte de bœuf à la plancha et frites à l’ancienne, sont préparées sans artifice, dans une totale transparence du produit. Pour achever le repas, ronde des desserts classique, sorbets, moelleux au chocolat, tarte fine aux pommes, soufflé au Grand Marnier, fraise en millefeuille. Grâce à un service attentif et discret, un sommelier d’envergure – le patron en personne – un repas au Vin Chai Moi devrait réjouir les gourmets sans trop dégarnir leur portefeuille.

Menu dégustation (entrée, poisson, viande, dessert) : 49 € Formule déjeuner entrée/plat à 19€ et 24€ avec un dessert.

Vin chai moi, 18 rue Duphot, 75001. Tél. : 01-40-15-06-69

Site internet : www.vin-chai-moi.fr. Ouvert le midi du lundi au vendredi et le soir du mardi au samedi.

 

 

 

 

 

L’étonnant canard pékinois du Restaurant Chen

Second service du canard pékinois

 

 

Il faut absolument, au moins une fois dans la vie d’un gourmand, ou simplement d’un curieux, déguster un canard pékinois préparé selon la tradition. C’est un des grands plats de la cuisine mondiale et une véritable curiosité, en Chine même, puisqu’il s’agit selon toute vraisemblance, d’une recette d’origine Moghol. A Paris, la référence incontestable est le Canard « Mr. Chen » en trois services, du nom du cuisinier, disparu en 2003, qui avait mis au point la recette et le protocole d’exécution que sa veuve, Véronique Chen, respecte scrupuleusement depuis lors. Plumé, éviscéré, soigneusement épilé, le canard est soumis à une préparation traditionnelle. Le décollement de l’enveloppe du canard – la peau – s’effectue, après l’abattage, sous la double action d’une pompe à air dont l’embout est glissé sous l’épiderme du palmipède et d’un massage efficace du canardier. Semblable à un ballon de rugby, le canard est alors placé sur un hâtelet, cloué par le bec au moyen d’un porte aiguille. Ebouillanté à l’eau vinaigrée, il est badigeonné à plusieurs reprises d’un mélange de miel, de soja et d’alcool de riz. Suspendu dans un endroit ventilé, le canard est mis à sécher pendant vingt quatre heures. La cuisson interviendra, à la commande, dans une simple étuve qui, en vingt minutes, donnera une peau croustillante et parcheminée. Dans le même temps, la cuisine est affairée à la préparation d’une sauce caramélisée d’huile de sésame, de pâte de haricot, de soja, de sucre et d’eau. L’on prépare aussi les fines crêpes de riz et on cisèle la ciboule. Au restaurant Chen, c’est sous le regard vigilant de Madame Chen – et souvent de sa propre main – qu’intervient la découpe du canard en salle, sur un guéridon. La crêpe de riz, nappée de sauce, garnie de ciboule reçoit un rectangle de peau chaude et croustillante, qu’il convient – avec les baguettes – de rouler en forme de pannequet. Saveurs miellées, textures nuancées, ingrédients aux températures variées, c’est tout le savoir faire de l’art culinaire chinois au service du sublime volatile.

Le second service est consacré à la dégustation de la chair du canard sous trois formes  distinctes ou parfois juxtaposées dans l’assiette :

-  à la pékinoise, chair émincée, sautée au wok avec du gingembre frais, des herbes, sel et poivre ;

-  en noisettes, servies avec un fond clair de canard et gingembre frais

-  avec un fond de canard, aubergines confites et vinaigre de riz.

L’accompagnement est habituellement composé de nouilles de blé cuites à la vapeur, pointes de soja et parties vertes de la ciboule.

Le troisième service est un bouillon de canard dégraissé et parfumé destiné à conclure le repas.

Pendant les dix années passées à la tête de son établissement, le chef Chen a formé une équipe soudée et solidaire, en lui faisant partager son savoir. Il mettait en pratique la sage maxime de Confucius : « Quand vous plantez une graine une fois, vous obtenez une seule et unique récolte. Quand vous instruisez les gens, vous en obtenez cent. » L’équipe de cuisine que dirige aujourd’hui Véronique Chen, ainsi que son directeur, Jean Le Gloahec (qui fit l’ouverture du Maxim’s Pékin créé par Pierre Cardin en 1982) met un point d’honneur à sélectionner les produits toujours avec la même exigence et à suivre à la lettre la recette du maître Fung-Ching Chen.

Premier chinois étoilé au Michelin

En 1999, le Guide Michelin avait reconnu cet effort en accordant une première étoile. Elle fut conservée à l’établissement jusqu’en 2006, après la mort du chef Chen survenue en 2003. Et puis subitement, le restaurant disparut du guide.

L’année précédente, la démolition de la dalle Beaugrenelle dans le secteur du restaurant Chen avait commencé dans le bruit des pelleteuses, la noria des camions et des bétonnières le long des palissades envahissantes rendant son accès quasi impossible. Voilà l’unique raison à nos yeux, de la disparition de ce restaurant parmi les tables étoilées de la capitale, puis sa pure et simple suppression, alors même que le niveau de la cuisine était resté constant. Le guide Michelin, qui prétend n’accorder ses étoiles qu’en fonction de la qualité de l’assiette, était pris une nouvelle foi au piège de l’obscurité de ses critères. Après ces « années de béton », les travaux ayant cessé depuis un an, le restaurant Chen est à nouveau mentionné dans le Michelin, mais il n’a toujours pas retrouvé son étoile.

 

Au déjeuner : menu 40 € – Demi canard pékinois (pour 2 personnes) : 75 €.

CHEN – SOLEIL D’EST 15, rue du Théâtre 75015 – Paris. Tél. : 01 45 79 34 34 Ouvert au déjeuner et au dîner du lundi au samedi. Fermé samedi midi

Quai Ouest, à Saint-Cloud les pieds dans l’eau

Si l’on sait que la peinture, grâce à Sisley (1839 – 1899), doit beaucoup à la ville de Saint Cloud, on ignore généralement que la gastronomie lui est redevable de la sauce béchamel. Son créateur fut, dit-on, Louis de Béchameil, surintendant de la maison de Monsieur à Saint-Cloud, palais des mirages et de la redoutable princesse Palatine qui n’appréciait que la choucroute. « C’était un homme d’esprit et fort à sa place qui faisait une chère délicate et choisie en mets et en compagnie », nous rapporte le duc de Saint-Simon dans ses mémoires. Louis de Béchameil ne parlait de sa découverte qu’avec réserve. Il mourut à Paris en 1703, à l’âge de soixante-treize ans, et ce n’est qu’après ses obsèques célébrées à Saint-Eustache que l’on retrouva la fameuse recette. Béchameil se transforma dans le parler populaire en sauce à la Béchamel ou en béchamelle.

Saint Cloud, c’est aussi le souvenir de Santos Dumont et des aérostiers, pionniers de l’aviation, et aussi, hélas !, des usines qui ont colonisé les berges de la Seine. Les temps ont changé ; la nature reprend peu à peu ses droits sur les rives, entre le Parc de Saint Cloud et le Bois de Boulogne.

Sur une immense barge de 500 couverts, les restaurant Quai Ouest, s’est ouvert il y a une quinzaine d’années. Le tout NAP (Neuilly, Auteuil, Passy) assura aussitôt son succès. Après un changement de propriétaire intervenu au printemps 2010, une nouvelle ambiance, une équipe de salle et de cuisine entièrement renouvelées, des prix toujours serrés, entendent donner à cette institution phare de Ouest parisien, une seconde jeunesse, et faciliter aussi un retour aux sources, car la Seine, long fleuve tranquille, était autrefois jalonnée d’auberges, de ginguettes, on venait y pique niquer.

Quai Ouest renoue avec cette tradition aquatique et champêtre : des oliviers et des palmiers rythment un espace, désormais mieux adapté aux déjeuners d’affaires comme aux dîners des longues soirée d’été. Les parois amovibles et la toiture rétractable offrent à la vue les massifs forestiers préservés du Bois de Boulogne, tandis que les plaisanciers accostent sur le ponton du restaurant. Les fumeurs ont leur espace distinct, au grand air. Un environnement musical discret au déjeuner, varié le soir (jazz, country music, musiques du monde), ajoute à la détente sans céder aux ravages de la techno !

La cuisine bénéficie des conseils de Philippe Colin, chef étoilé Michelin. Elle est dirigée par Julien Durosier (30 ans), ancien de chez Costes, qui a la passion du produit et l’enthousiasme de la jeunesse. Sa cuisine est inventive et moderne. Le goût délicat de la soupe coco-citronnelle, c’est lui ; la cuisson précise de la pluma de porc ibérique, comme de l’onglet à la façon thaïe du « tigre qui pleure », c’est encore lui avec sa brigade, tandis que le pâtissier bichonne une panna cotta à la rose et aux litchis.

Le service est assuré par une équipe jeune, attentive, dynamique. La carte des boissons propose cocktails, vins de soif et bouteilles de référence.

Le dimanche, un brunch, servi de 12 h. à 16 h. propose un buffet de produits ultra frais, tandis qu’un clown amuse les enfants. Prix spécial pour les ados, gratis pour les bambins.

Les prix : A la carte : entrées : 10 € / plats : env. 23 € / desserts : 10 € – Formule à 18 €, au déjeuner en semaine. Brunch : 39 € tout compris (Ados : 25 €, gratis pour les moins de quatre ans). Capacité : 300 couverts. Espace fumeur : 150 couverts. A noter, le voiturier lave votre véhicule à la demande.

Quai Ouest Restaurant. 1200 Quai Marcel Dassault – 92210 Saint-Cloud
Tél.: 01 46 02 35 54. Ouvert tous les jours.

Allez manger “A l’Oeil”, rue Marie Stuart…

Le rapport n’est pas clair entre l’ophtalmologie et la gastronomie sauf à considérer de manière littérale l’expression « œil pour œil, dent pour dent. » Et pourtant cette table du quartier Montorgueil m’a « tapé dans l’œil. » D’abord par la magie d’une salade fraîcheur aux écrevisses, vinaigrette crémeuse à l’estragon, bien assaisonnée avec une mayonnaise détendue au jus du crustacé d’eau douce souligné par le condiment de la famille des astéracées. Ensuite par une souris d’agneau fondante et son jus, semoule aux épices et pois gourmand, plat d’inspiration méditerranéenne – entre couscous et tagine – mais relevé par un mélange d’épices autre que le classique ras el hanout. Voilà deux plats équilibrés, qui ne jettent aucune poudre aux yeux.

En revanche, je mangeais des yeux (sans pour autant les avoir plus gros que le ventre) les plats de ma commensale, une entrée d’asperges sauce mousseline suivie d’un râble de lapin lardé, écrasé de pommes de terre et sauce moutarde Savora. Il me fut permis d’y goûter. Même impression de sérieux et de précision, tant dans le choix des produits que dans la justesse des goûts. Delphine, chef cuisinière, fille de restaurateurs de Seine et Marne, aussi spontanée que sa cuisine, surgit alors : « comment avez-vous trouvé ? » La question est souvent agaçante lorsqu’elle est posée par un serveur évasif. Ici, au contraire, on éprouve le sentiment que l’avis sera pris en considération et invitera au dialogue. Cette attitude ouverte est aussi celle de Emma qui pilote le service en salle, avec attention et bonhomie. Le tandem est à l’unisson. Mentionnons encore, le magret de canard aux fruits rouges et le risotto crémeux aux asperges vertes, ou encore le pavé de saumon à la citronnelle et riz à la badiane.

Les desserts, soupe de fraise et chantilly à la menthe comme le millefeuille au citron, coulis au fruit de la passion, relèvent d’une même inspiration gourmande, sans concession à l’excès de sucre, qui, trop souvent, condamne un repas à l’oubli. Le décor est aussi très soigné, inspiré par l’enseigne, qui ménage avec humour les pierres apparentes et les logos d’un cabinet d’optique. Une petite terrasse sur la rue est la promesse de plaisirs partagés pour une soirée d’été. Un menu « clin d’œil » à 26 € et « Bien vu » à 32 €, ne vous laisserons pas… que vos yeux pour pleurer ! Carte journalière au gré du marché.

Restaurant A l’Oeil, 7, rue Marie Stuart. 75002 – Paris. Tél. : 01-40-39-05-09. Ouvert le soir seulement du mardi au samedi.